Un nouveau pacte financier mondial: Quels sont les enjeux pour les pays en développement ?
Par Houmi Ahamed-Mikidache
Le Sommet pour un nouveau Pacte financier accueille à Paris au Palais Brognard pendant deux jours une quarantaine de dirigeants de la planète, des acteurs de la société civile, et des représentations d’institutions, invités par Emmanuel Macron, président de la république française. Ce sommet annonce d’emblée le président de la république française a pour ambition de mettre en avant la lutte contre la pauvreté et la protection de la planète. “Nous voulons bâtir ici un nouveau consensus porté par celles et ceux qui vivent les conséquences du changement climatique”, précise-t-il.
« Ce sont les carburants fossiles qui polluent l’environnement »
Pour convaincre, l’Elysée a invité pour la première fois, une activiste africaine reconnue au niveau international, l’ougandaise, ambassadrice de l’UNICEF, Vanessa Nakate. Son message est saisissant. “Quand on parle de développement, on ne peut pas tolérer que des millions de personnes respirent un air pollué. Quand on parle de développement, on ne peut pas tolérer que des millions de personnes soient poussées dans la famine après des années de problèmes agricoles, quand on parle de développement, on ne peut pas tolérer que des états insulaires souffrent dans leurs économies et dans leur survie, du fait de la multiplication des tempêtes et de la montée des eaux. Ce qui se passe dans la corne de l’Afrique, dans d’autres pays vulnérables, est plus que terrifiant. Nous ne devons pas accepter cette fatalité. Ce sont les carburants fossiles qui polluent l’environnement”, dénonce-t-elle devant l’assemblée composée de dirigeants du monde, et de notamment du roi Ben Salman d’Arabie Saoudite et du président de la COP 28, Sultan Abdul Jaber, président d’une compagnie pétrolière aux Emirats Arabes Unis.
Marqué par une minute de silence sollicitée par l’activiste, en hommage à un enfant rencontré dans la corne de l’Afrique, et qui est décédé des suites à son exposition au soleil et face à la sécheresse, son message est un appel à l’action. “Toute dépense supplémentaire en faveur des énergies fossiles, n’est qu’une folie. Veillons à ce que les gens soient privilégiés, que l’on pense aux gens avant de penser aux profits, veillons à ce que cet enfant qui est mort soit un exemple. Les populations du monde vous regardent. Ce sont les gens. Rappelez-vous. Ce sont les gens. Nous sommes ces gens” conclut-elle.
Mais a-t-elle convaincu l’assistance? Mohamed Bazoum, président du Niger, pays victime du changement climatique lui répond quelques minutes plus tard. “ Comme tous les autres pays pauvres, nous serons opposés à toute politique visant à nous priver du recours aux énergies fossiles: notre débat sur cette question est un débat qui reste polémique”, souligne-t-il.
L’Afrique n’émet que 4% de gaz à effet de serre et fait partie des continents les plus affectés par le réchauffement planétaire. Le Niger en est conscient, mais pour le président de ce pays situé dans le sahel, le recours aux énergies fossiles est la solution permettant à son pays d’atteindre ses objectifs de développement. Pourtant, son discours revient sur les différents défis de son pays qui rejoignent ceux présentés par l’activiste ougandaise.
« Face à une multitude de crises »
“Tout au long de ma vie, j’ai vu une succession de sécheresse, privant les cheptels de pâturages et les paysans de récoltes. J’ai vu la terre rougir, les cheptels décimés, les régions livrées à la famine venant grossir les bidonvilles. Il est loin au sahel le temps où une vache se reproduisait en moyenne chaque année tout en produisant du lait pendant 9 mois. La règle aujourd’hui c’est qu’elles se reproduisent tous les deux ans pour une production de lait réduite de moitié qui ne dure véritablement que quelques petits mois” , fait-il remarquer.
Le Niger, relève Mohamed Bazoum, doit faire face à une multitude de crises, climatique, migratoire, sécuritaire, économique, alimentaire et démographique. Face à ces défis, ce pays situé en Afrique de l’Ouest, dans le Sahel se dit prêt “ à obtenir un accord de principe pour une certaine flexibilité et des marges de manœuvres permettant d’atteindre les objectifs régionaux et locaux de développement tout en respectant les contraintes globales”, précise-t-il. Et de poursuivre: “ l’enjeu pour moi président d’un pays financièrement pauvre non dénué de ressources naturelles est d’exprimer une vision stratégique conciliante en pensant à une conception collaborative et inclusive”.
Mais ces objectifs de développement sont-ils atteignables ? Pour le Secrétaire Général des Nations Unies, António Manuel de Oliveira Guterres, autre invité de marque au sommet, les objectifs de développement durable s’éloignent chaque jour un peu plus. Les objectifs notamment de lutte contre la pauvreté et de la faim, fait-il remarquer sont en net recul. D’après le représentant des Nations Unies, la pandémie de COVID 19 et l’invasion russe de l’Ukraine ont aggravé cette situation.
“ Le système financier international est en crise, les pays riches ont pu générer des liquidités nécessaires pour relancer leurs économies. A l’inverse, les pays en développement n’ont pas cette capacité et doivent faire face à des coûts d’emprunt abusif, jusqu’à huit fois supérieurs à ceux des pays développés”, expose le secrétaire général de l’ONU. Le dilemme, explique-t-il, est que les pays en développement doivent choisir” entre rembourser leurs dettes ou subvenir aux besoins de leur population”. En 2023, rappelle-t-il, plus de 753 millions de personnes souffrent de famine. De nombreux pays africains dépensent plus d’argent pour rembourser leurs dettes que pour la santé et les conséquences à venir sont “terribles pour des générations entières ”, précise-t-il. Actuellement, relève-t-il, 52 pays, notamment les pays les moins avancés et ceux les plus vulnérables au changement climatique, sont en défaut de paiement ou se rapprochent dangereusement de cette situation.
Président du Niger, lors de la cérémonie d’ouverture du Sommet/ Crédit Photo:@houmi ahamed mikidache
Pour une transformation de l’architecture financière?
Mais le montant pour atteindre les objectifs de développement durable est connu depuis de nombreux mois. “Dans l’ensemble, les dépenses liées aux objectifs de développement durable doivent être de 5100 milliards d’ici 2030. Pour atteindre les objectifs de développement économiques, nous pensons qu’il faut 1400 milliards de dollars qui doivent être consentis par la mobilisation interne, dont un milliard par an pour consacrer suffisamment de financement pour le changement climatique”, indique Nick Stern, co-auteur d’un rapport sur le financement climat présenté à la COP 27 à Charm El Cheikh en Egypte.
Malgré les annonces, les financements pour le climat manquent de transparence d’après les organisations non gouvernementales. L’architecture financière doit être réformée rappelle la première ministre de la Barbade, Mia Mottley, l’ initiatrice de l’initiative de Bridgetown. S’exprimant lors de l’ouverture du Sommet, la première ministre de la Barbade est comme d’accoutumée sans réserves . Son pays est en alerte, en attente d’une tempête tropical, mais elle affirme rester à Paris pour passer à l’action. “Nous demandons une transformation totale pour garantir les sources de capital, même si c’est impopulaire de le dire. Nous ne demandons pas la faillite des entreprises privées. Nous demandons à chacun de partager le fardeau, de manière à partager les bénéfices”. Et de préconiser: “ Ce qu’il faut faire aujourd’hui c’est mettre sur la table les coopérations multilatérales dont les profits sont deux à trois fois plus importants que les budgets des pays”.
Pour Emmanuel Macron, l’architecture financière ne doit pas totalement changée et le Sommet pour un nouveau pacte financier doit être “une réunion de solutions très concrètes qui doivent changer la vie sur le terrain des pays qui font face à ces défis.”