Seyni Nafo : Plaidoyer pour un financement durable
Une semaine après la COP 22, le président du groupe des négociateurs africains, Seyni Nafo et ambassadeur pour le climat pour le Mali, donne son point de vue sur la finance climat et ses solutions. Entretien.
Propos recueillis par Houmi Ahamed-Mikidache
Eraenvironnement.com : Quels étaient les objectifs des négociateurs à Marrakech ?
Seyni Nafo: Nous avions pour objectif de poser les fondements juridico-techniques et opérationnels de l’accord. Que veut dire ce charabia ? Il fallait qu’on se mette d’accord sur la feuille de route qui doit décliner le travail en termes de modalités procédures et directives d’application de l’Accord de Paris. Il comprend tout le régime de transparence sur l’atténuation [réduction de gaz à effet de serre] , sur le suivi financier, sur la comptabilisation des efforts d’adaptation, tout le rulebook comme on dit en anglais. Nombreux pensent qu’il nous faut deux ans pour terminer toutes les directives et modalités qui accompagnent le texte de Paris. Ce sont ces décisions qui seront prises en 2018. On a donc deux ans de travail technique. En 2018, il y aura un second rendez-vous : la rédaction d’une revue à mi-parcours des efforts, en anglais le « facilitative dialogue ». C’est un dialogue qui évalue les efforts de réductions de gaz à effet de serre, et d’adaptation dans un cadre global. Cet exercice doit aboutir à une augmentation de l’ambition, une augmentation du niveau de réduction des émissions de gaz à effet de serre. En 2018, les vraies décisions devraient être prises. A Marrakech, , il n’y avait pas de décisions à prendre. On devait clarifier la feuille de route de maintenant à 2018. Nous avions comme mission d’écrire les termes de références, en décrivant le nombre d’ateliers et le nombre de papier techniques à réaliser.
Le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publié en 2018 aura-t-il un impact sur les décisions ?
Normalement oui. Il va informer les débats au niveau de l’effort. L’objectif d’un tel rapport est de tirer la sonnette d’alarme et de mettre une pression positive sur les décideurs. Oui, cela va être important. Généralement, lors des cycles de contributions, au moment où les pays doivent faire des engagements de réduction de gaz à effet de serre, les pays doivent être informés par un rapport du GIEC. C’est pour cette raison que sera publié le rapport spécial 1,5°C. On espère qu’il sera prêt en 2018 pour permettre de tirer la sonnette d’alarme et d’être un argument assez important pour que les pays remontent leurs obligations de réduction de gaz à effet de serre[Actuellement, les émissions de gaz à effet de serre sont évaluées à plus de 3%].
Vous représentez donc 54 états africains. Le président du GIEC, Hoesung Lee , a demandé récemment à ce que les pays, notamment les pays en développement, lui présentent des scientifiques pour l’élaboration du rapport 2018. Quel sera l’apport de l’Afrique ?
Nous avons un coordinateur groupe Afrique et Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat . Nos chercheurs élaborent actuellement 4 à 5 publications qui vont être reversées aux 1,5°C, notamment sur les impacts des 1,5° dans l’adaptation. Je suis en train de me battre pour que ces publications soient faites et intégrées au travail des experts du GIEC. D’ici le mois de janvier 2017, ces études devraient être soumises au rapport 1,5°C du GIEC.
Où en est la question de l’équité ?
L’équité s’applique au partage de l’effort, au partage du fardeau. C’est un des principes qui sous tend le partage du fardeau. La question sera discutée en 2018.
Lors du sommet de haut niveau sur la finance climat à Marrakech, le Ministre anglais de l’Energie, Nick Hurd et le Président de la Zambie, Edgar Lungu, la Présidente du Fonds Pour l’Environnement Mondial, Naoko Ishii et le Co-président du Fonds Vert, Ewen Mc Donald se sont exprimés successivement. Mais sans aucun échange. Que pensez-vous de ce dialogue ministériel ?
Le gros problème que nous avons avec le dialogue ministériel sur la finance climat c’est le format. On organise ce genre d’événement tous les deux ans à peu près. Mais, on arrive pas à mettre en place un format interactif. Cela crée un débat où en a des parties qui s’opposent sans échanger. Il aurait fallu avoir un modérateur qui pose les questions difficiles, qui sait où va le débat, qui les fait interagir. Mais malheureusement, le format ne se prête pas. Moi, je n’ai pas eu le temps de venir. Parce que sa majesté organisait à ce moment-là le Sommet de Haut niveau sur l’Afrique. [une présentation de la finance climat a été expliquée par la co-présidente du Standing Committee on Finance qui gère cet organe de la Convention sur le Climat avec Seyni Nafo]
En quoi le Fonds d’Adaptation est-il problématique, selon vous ?
Le gros problème du Fonds d’Adaptation [ encadré par le Fonds pour l’Environnement Mondial] c’est la question du mécanisme d’abondement [Le Mécanisme de Développement propre] . Ce fonds est alimenté par un prélèvement des 2% de la banque des crédits carbones. Malheureusement, puisque les crédits carbones ne valent plus rien aujourd’hui, tous les ans, il y a une quête qui se passe, pour dire les choses clairement. En début d’année, le conseil d’administration du Fonds détermine le niveau de la quête. Cette année, on a besoin de 80 millions de dollars américains , parce qu’on n’a pas de sous. Généralement, le Fonds est alimenté par les pays européens. Il y a donc un problème de déficit chronique parce que le mécanisme par lequel le fonds est abondé est structurellement déficitaire ou déficient. Ce que nous proposons : c’est arrimer le Fonds d’Adaptation et le Fonds d’Adaptation des Pays les Moins Avancés au Fonds Vert pour le Climat. Le problème du financement du Fonds d’Adaptation sera ainsi réglé. Le Fonds vert a des financements qu’il n’arrive pas à décaisser. Non, je m’explique. Il a du mal à atteindre ses cibles. Cette année le fonds vert voulait décaisser 2 ,5 milliards. Il a dépensé, je crois, 400 millions au maximum 700 millions. L’année prochaine, le Fonds veut décaisser 3,5 milliards, et donc approuver 3,5 milliards de projets. Manifestement, il y a un problème d’échelle. Arrimer le Fonds d’Adaptation au Fonds Vert climat permettrait de décaisser 150 millions par an pour l’Adaptation, rien que par ce mécanisme. Le procédé sera le même avec le Fonds d’Adaptation des Pays les Moins Avancés.
Concrètement, comment peut se faire cet arrimage ?
Ça peut se faire à travers les décisions de la CMA[La conférence des Parties à la Convention Cadre des Nations sur les Changements Climatiques agissant comme réunion des Parties à l’Accord de Paris], qui autorise le Fonds d’Adaptation à servir l’accord de Paris. Cela se fait ainsi sous le Protocole de Kyoto, puisque le Fonds d’Adaptation dépend d’un mécanisme du Protocole de Kyoto. Il faut une décision sous les deux organes, sous le Protocole de Kyoto et sous la CMA, parce que tous les pays sont sur ces deux organes, notamment les Etats-Unis. Mais, les Etats-Unis n’ont pas ratifié le protocole de Kyoto. Il faut que Kyoto permette de le faire. Il faut que Kyoto autorise le Fonds à recevoir cette contribution là, et il faut que l’Accord de Paris également autorise ça. Surtout que ce ne sont pas les mêmes Parties : il y a les Parties liés à l’Accord de Paris et les Parties qui ont ratifié le Protocole de Kyoto. Le Fonds, aujourd’hui, est sous la coupe du Protocole de Kyoto. En réalité, à Marrakech, il y avait deux décisions qui devaient être prises : ce sont des éléments techniques, mais quand on se met d’accord sur le politique, techniquement, les choses peuvent se faire.
Qu’en pensent les Etats-Unis ?
Les Etats-Unis n’ont pas Kyoto. Le trésor américain n’est pas intéressé par tous les petits fonds. Moi, je pense que le Trésor américain, comme beaucoup, de pays développés, verrait un intérêt à ce que le Fonds Vert pour le Climat finance les différents fonds : ce serait « un fonds de fonds ». C’est un fonds qui alimenterait d’autres fonds, mais le Fonds d’Adaptation ne les intéresse pas. Peut-être pour plusieurs raisons. Une des raisons : la gouvernance avec 60% de pays issus des pays en développement et 40% venant des pays développés. Certainement, il y aurait un ajustement à faire au niveau de la gouvernance. On attend la nouvelle administration américaine. On verra bien lorsqu’elle sera mise en place.
L’année dernière, lors de la COP 21, vous affirmiez que l’adaptation n’avait pas d’intérêt pour les pays développés, parce qu’elle n’entraîne pas de profits. Maintenez-vous vos propos ?
Oui. Mais, en fait, il y a plusieurs explications. Cette explication en fait partie. Généralement, ce ne sont pas des activités génératrices de revenus. Mais, il y a des choses qui peuvent se passer. On peut innover [avec l’adaptation]. C’est le premier point. Deuxièmement, le Fonds d’Adaptation financé par des subventions où les financements publics sont concessionnels. Et les financements concessionnels sont rares maintenant. Quand ils existent, les donateurs les utilisent pour faire un effet de levier. Quand on réunit ces financements concessionnels, on se rend compte que la part de l’adaptation dépasse rarement les 20% . En soit, ce n’est pas vraiment un problème s’il y avait un niveau de financement adéquat pour la réduction des émissions, puisqu’à long terme l’adaptation revient à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Mais ça ne règle pas la question de l’urgence des pays qui ont déjà des problèmes d’adaptation assez importants.
Ce problème de financement ne se pose-t-il pas aussi au niveau des contributions nationales, les plans nationaux permettant la réduction des gaz à effet de serre ?
Bien sûr qu’il y a un problème. Je pense que les attentes de financements des plans nationaux[comprenant adaptation et atténuation] vis-à-vis de la communauté internationale sont pour la plupart irréalistes. Je ne suis pas très convaincu par les méthodologies qui sous tendent ces contributions financières. J’ai l’impression que les pays ont calculé les montants des investissements et les ont mis les uns sur les autres. D’ailleurs, ces contributions nationales ne sont pas assorties à des programmes. Il se pose la problématique de la « bancabilité ». Il y a beaucoup de travail à faire pour traduire les contributions en plans d’investissement, en programmes et en projets bancables. C’est de fait ma principale priorité pendant les 12 prochains mois. Il faudrait pour cela commencer à élaborer les termes de référence et les études d’impact environnementales. Le Fonds Vert pour le Climat permet de financer ces choses là. Il faudrait que l’année prochaine, les pays commencent à étudier les projets au maximum. Parce que sans études de faisabilité, il n’y a pas de financement. Quand on dit, on a des projets, ce ne sont pas des projets, ce sont des notes de projets, qui font cinq à 10 pages. Il faut donc des études de faisabilité pour tous ces projets.
Zaheer Fakir, co-président du Fonds Vert pour le Climat déclarait, l’an dernier, que les négociateurs ne préparent pas les projets…Les négociateurs sont-ils donc limités ?
Zaheer a raison. Pour x,y z raisons. Prenons exemple des points focaux climat qui sont assez déconnectés de la réalité. De plus, la plupart des autorités nationales du Fonds vert ne connaissent pas les opportunités de ce fonds. Les choses commencent à changer parce que le Fonds Vert augmente le nombre de conseillers régionaux pour soutenir les pays. Mais , comme d’habitude, il y a des pays plus présents que d’autres : il y a les leaders, ceux qui sont innovants, mais c’est lié aux questions de capacités, et aussi à la motivation. En fait, les raisons sont multiples. Mais, au niveau du groupe africain, on est en train de travailler avec les pays pour éviter que ce soit toujours les mêmes qui s’en sortent.