Résumé
Cet article fait suite à un documentaire réalisé en 2008, basé sur le Programme d’Adaptation National au Changement Climatique (PANA 2006), intitulé « Après le débarquement » ou « où vont les Comores avec Anjouan ».
Aux Comores, les femmes forment plus de la moitié de la population comorienne (54%). Plus de 70% de la population comorienne vit de l’agriculture Ce secteur correspond à plus de 40% du Produit Intérieur Brut (PIB).La société comorienne matrilinéaire confère à la femme le droit de la transmission des biens mère- fille, « le manyahuli ». A *Mayotte, Anjouan, Mohéli et Grande Comore, la femme est le socle de l’organisation sociale à différents degrés. En Grande Comore, le patrimoine foncier de la femme est la base du mariage coutumier appelé « Grand mariage » ou « Anda ». La femme existe à travers le statut de « l’homme accompli »
Les femmes rurales comoriennes sont les gardiennes du patrimoine forestier
Ces traditions dominent le système fédéral de ce petit état insulaire en développement. Les femmes paysannes, elles, ne sont pas épargnées par les traditions. Mais, elles sont marginalisées en ville. Toutefois, elles pourraient exister collectivement économiquement, socialement et politiquement à l’échelle nationale par la valorisation de leurs activités rurales, à travers le Syndicat National des Agriculteurs Comoriens (SNAC) ou tout autre groupement agricole. Les femmes rurales comoriennes sont les gardiennes du patrimoine forestier. Elles peuvent s’appuyer sur leurs savoirs- faire ancestraux méconnus du grand public, liés à la diversité biologique et culturelle des îles. L’objet de cet article est de démontrer qu’il est possible de renforcer le rôle des femmes dans la gestion des ressources naturelles (gestion des terres, de la forêt, de l’eau), en utilisant le rôle traditionnel des femmes à travers l’organisation matrilinéaire. Ce texte souligne le réel potentiel des femmes à travers leurs connaissances locales et leurs pratiques traditionnelles. Ce texte montre aussi que les femmes rurales peuvent protéger les ressources naturelles, si elles bénéficient de programmes d’alphabétisation et de vulgarisation. Elles pourraient ainsi lutter contre la déforestation. Ce court article encourage l’utilisation des ressources naturelles, issues de la forêt comme la fleur d’Ylang Ylang et l’argile. Il démontre aussi que les Comores ont la possibilité d’utiliser les énergies renouvelables (Anadolu-2014). L’Ylang L’Ylang produit phare des Comores (voir film Anjouan 2008) peut être exploité dorénavant par l’énergie solaire. L’argile peut être utilisé pour la construction de parpaings à Mayotte ( Info terre 1999), mais aussi dans les trois autres îles de l’archipel ( Al watwan-8 février 2011). Cette ressource peut être utilisée pour les soins naturels et les maladies infectieuses (De Coursou 2002- Natural news 2008 et Hihadjaden 2012).
Qui sont les Comoriens ?
L’origine du peuplement de l’archipel des Comores (Grande Comore, Anjouan, Mohéli, Mayotte*) est assez mystérieuse. Il y a différents phénotypes, arabes, africains, austronésiens Certains spécialistes comme l’anthropologue d’origine australienne Iain Walker pensent que les pirogues et le riz témoignent de l’influence des émigrés d’Asie du Sud-Est venus à Madagascar, puis aux Comores (Walker 2009). Mais, il ajoute aussi que « ces apports matériels ne sont pas des preuves tangibles » d’une présence autochtone austronésienne. Les traditions orales, les quatre dialectes comoriens (Shingazidja, Shindzuani, Shimwali, Shimaore) de l’archipel marquent une certaine présence africaine ancienne (Walker 2009). La souche comorienne serait plutôt formée par des africains, des bantous (Walker 2009). La société autochtone comorienne est matrilinéaire, s’inspirant d’un système africain qui se retrouve aussi dans certaines parties de la Côte d’Ivoire (Blanchy 2010).
La filiation en Grande Comore se transmet de mère en fille. La transmission des biens se définie comme le « manyahuli » qui se manifeste en Grande-Comore et à Mohéli dans un moindre degré .« Gérer les manyahuli suppose une bonne connaissance visuelle des terrains, que seuls possèdent ceux qui les cultivent, et la mémorisation de liens de parenté des ayant droits, » explique l’anthropologue Sophie Blanchy (Blanchy 2010). Mais elle n’existe pas Anjouan et à Mayotte Les biens appartiennent à la lignée sont souvent « conceptualisés comme terre d’origine de la famille » (Blanchy 2010). Mais, ce n’est pas si facile. Le droit foncier comorien, le droit coutumier est assez complexe, il est mêlé au droit musulman et au droit issu de la législation française, découlant de la colonisation française. Jusqu’alors, le système juridique n’est pas respecté aux Comores. Pour Abdou Djabir (2005), auteur, de l’ouvrage, « le droit comorien entre traditions et modernité », ce manque de respect est lié à une méconnaissance du droit comorien. Cette méconnaissance entraîne une mauvaise interprétation du « rôle des femmes dans la gestion des forêts aux Comores.
“Femmes Gardiennes du patrimoine »
54% de la population sont des femmes aux Comores Les femmes, notamment les femmes rurales fournissent 70% de la production vivrière des Comores L’agriculture correspond à plus de 40% du PIB Le rôle traditionnel des femmes, « la transmission des terres mère-fille » valorisée et vulgarisée pourraient permettre une meilleure reconnaissance nationale de l’utilité des actions des femmes rurales.
Le Grand Mariage
L’Union des Comores est une république fédérale avec trois gouverneurs et un président. Le système fédéral repose sur « la célébration de l’alliance matrimoniale » (Blanchy 2010), le mariage coutumier de la Grande-Comore, le « Anda connu aussi sous le nom de « Grand mariage ». Le Anda, selon M Walker (2009), est « une obligation sociale, la force structurante la plus puissante dans une hiérarchie qui s’étend sur un espace à la fois social et géographique, » explique-t-il. Pour l’anthropologue, les différents rangs sociaux sont classés en fonction de ce mariage et de son mode de fonctionnement. Selon, Mme Zahara Toyb, l’une des fondatrices du Réseau National Femme et Développement ( RNFD) , il existe différentes règles du Anda aux Comores ( interview au magazine Afrique Asie en 2011). Ces règles connues sous le nom de « Katiba » diffèrent en fonction des villes et village. A Moroni, le Katiba marginalise la femme qui n’a pas fait son grand-mariage, lors des célébrations coutumières, d’après Mme Toyb ( Afrique Asie 2011). En Grande-Comore, la maison conjugale appartient à la femme. Les parents dès la naissance de leur fille se doivent de lui construire une maison. Une fois mariée, cette maison est habitée par le couple. Mais en cas de divorce, la maison reviendra à la femme. Concernant les terres agricoles, l’homme peut jouir des terres de sa sœur, celles de sa femme, mais il n’a aucun droit sur les terres de sa femme, d’après l’ouvrage de M Walker (2009). L’homme pour exister socialement doit avoir fait son Grand mariage dans son village. Il deviendra à ce moment-là « un homme accompli ». A Dembeni, les Accomplis peuvent relever de six classes d’âges, des plus jeunes au plus âgés. Un tiers d’entre eux a acquis le titre de « Rois de la cité» (mfukare ya handa). C’est une étape importante pour l’homme qui peut devenir le fondateur du « trengwe ya daho », signifiant une assemblée de maison composée uniquement d’hommes (Blanchy 2010). Un autre homme originaire d’Anjouan ou de Mohéli, lorsqu’il accède au pouvoir doit se conformer à ces traditions. C’est la base de la stabilité comorienne.
L’actuel président des Comores, Ikililou Dhoinine, originaire de l’île de Mohéli, n’a pas fait l’Anda en Grande Comore. Mais il se doit de respecter le mode de fonctionnement politique autour de ce mariage coutumier. C’est pour les comorien, « un gage de stabilité ». Le village, la région en Grande Comore ont une très forte influence sur les différents modes de fonctionnement de la société. La femme, bien que très privilégiée par son statut historique, ne peut exister socialement, économiquement que si elle fait son Grand mariage (Toyb Afrique Asie 2011). Le statut de son mari lui permettra d’exister socialement. L’objet de cette analyse n’est pas le Anda. Le Anda permet de mieux comprendre le positionnement de la femme et de l’homme dans la société comorienne. Les femmes rurales sont en quelque sorte les gardiennes du patrimoine forestier des Comores.
Déforestation
Les Comores vivent un stress hydrique lié entre autres à l’exploitation de la forêt (voir documentaire où vont les Comores avec Anjouan 2008). Chaque année, l’archipel perd en moyenne 500 hectares de forêts suite à l’utilisation entre autres du bois pour la cuisson et pour la confection d’huile essentielle d’Ylang Ylang, la fleur des Comores utilisée pour les parfums de renoms tels J’adore de Dior. Les trois cultures de rente des Comores sont le girofle, la vanille et l’Ylang Ylang. Pour M Mohamed Ali (interview Novembre 2014), les Comores envisagent de développer des alambics au solaire pour remplacer l’utilisation du bois pour la distillerie d’Ylang Ylang. Malgré un taux d’analphabétisme élevé, ces femmes, solidaires, ont une approche décomplexée de l’agriculture, un secteur qui peine à être apprécié par la jeunesse, en proie à un avenir meilleur en occident. Les femmes, pour le moment, ne luttent pas vraiment contre la déforestation. Mais, le gouvernement a mis en place une politique de reboisement suite au sommet de la terre Rio+ 20. Depuis le mois de Septembre (interview Mohamed Ali Youssoufa- PNUD- novembre 2014), le PNUD soutient les paysans dans le cadre d’un projet agricole d’adaptation au changement climatique.
Retour sur les actions
En 2008, le groupe de femmes Taanzuma présidée par Latufa Said, 26 ans, encadré par un médecin de l’île d’Anjouan, Abdallah Ahmed Allaoui, de l’organisation agricole UGGA, avait lancé un projet ambitieux de cultures maraîchères Dans le film « Après le débarquement », l’association Taanzuma tenait un élevage de volaille. La culture de rente (Ylang Ylang, girofle, vanille) et maraîchères (manioc, bananes, taro ) sont les principales ressources naturelles des Comores. Or depuis ce film, Mme Said et son association n’ont pas évolué. Elles avaient pourtant pour ambition de mieux éduquer leurs enfants en travaillant.
Valoriser pour le bien-être
Les îles Comores sont des îles volcaniques Le Mont Karthala en Grande Comore est le seul volcan en activité des quatre îles volcaniques de l’archipel Il existe dans les forêts près du Karthala des minéraux qui forment les roches argileuses. Elles forment de l’argile verte montmorillonite. Les bienfaits de l’argile sur la santé ont été démontrés, il y a quelques années, par une infirmière française, Line de Coursou (Buruli et Argile- De Coursou 2002). Les Comores regorgent de ressources naturelles vertes et de ressources naturelles marines. Les femmes peuvent s’appuyer sur leurs savoirs- faire ancestraux méconnus du grand public, liés à l’histoire du patrimoine foncier des Comores, mais aussi à la diversité biologique et culturelle de ce petit état de l’Océan Indien. Dans la forêt du Ngoubajou et de Hantsogoma, près du Karthala, il existe des plantes médicinales. La population fait usage régulièrement des produits forestiers tels que (Mboessa) Tambourissa leptophylla, (Mdara) Piper capens et les feuilles de (Mfadrabo) Aphloia theaformis). Il n’y a aucune exploitation nationale de la médecine herbale aux Comores. Pourtant, cet état insulaire fait partie des vingt îles dans le monde caractérisées pour sa biodiversité (who int). Les femmes peuvent avoir ainsi un rôle de gestionnaire important des ressources forestières. Elles peuvent aussi s’appuyer sur l’accompagnement associatif. D’après Zahara Toyb, le Réseau National Femme et Développement a mis en place des programmes d’alphabétisation à destination des femmes rurales. Une de ces femmes a même fait partie du Syndicat National des Agriculteurs Comoriens (SNAC). A travers le SNAC, ou tout autre groupement, elles peuvent être les gardiennes du patrimoine naturel. Un collectif de la diaspora comorienne en France, le collectif du patrimoine des Comores milite depuis 10 ans pour la reconnaissance des sites naturels et culturels comoriens au patrimoine mondial de l’UNESCO. Il pourrait apporter son soutien aux femmes rurales. Le rôle financier de la diaspora comorienne n’est pas négligeable. La diaspora pourrait contribuer au renforcement du rôle des femmes dans la gestion des forêts. L’ensemble des structures et groupements qui encadre le secteur agricole doit être mis à contribution. Les résultats des différents projets agricoles doivent être expliqués à ces femmes. Les compétences dans les milieux ruraux de ces femmes doivent être valorisées au niveau régional et national. La difficulté résidera, encore une fois, sur la place du mariage coutumier. Même si d’après l’anthropologue Sophie Blanchy (2010), « la matrilinéarité participerait à l’adaptation au milieu écologique et économique, notamment par les groupes de travail féminins contrôlant les ressources ».