« Mayotte est un trésor de biodiversité »- Lamya Essemlali ( Sea Shepherd France)
Le 10 Octobre 2018, l’Organisation à but non lucratif, 1% pour la Planète France a organisé la troisième édition des Rencontres Associations et Philantropes, une initiative permettant d’ aider des association françaises à préserver la planète. Invité à cet événement, Era Environnement vous fait découvrir l’un des projets primés, présenté par l’Organisation Non Gouvernementale ( ONG) de défense des Océans, Sea Shepherd France . Cette ONG a remporté le prix de la catégorie » Rivières et Océans » avec une aide de 20 000 euros pour financer une campagne de protection des tortues sur l’île de Mayotte prévue en 2019. Lamya Essemlali, présidente de l’ONG se confie à Era Environnement. Entretien.
ERA ENVIRONNEMENT : Pourriez-vous vous présentez s’il vous plaît ?
LAMIYA ESSEMLALI :Je suis la présidente de Sea Shepherd France, l’organisation de défense des océans. C’est surtout une organisation anti-braconnage.L’antenne française a pour but premier d’aider au financement des campagnes internationales, mais aussi de développer des campagnes au niveau national et dans les DOM-TOM puisque la France est le deuxième territoire maritime le plus grand au monde. On a une grosse responsabilité en matière de biodiversité. Malheureusement, on est pas du tout à la hauteur. 11 millions de kilomètres carrés à couvrir. Donc, depuis quelques années, on développe de plus en plus de campagnes sur les territoires français.
Le Lagon de Mayotte- Crédit Photo: Sea Shepherd
ERA ENVIRONNEMENT: Pourquoi Mayotte ?
LAMYA ESSEMLALI: Mayotte… on nous a alerté sur le sort des tortues marines à Mayotte, du coup, on a commencé à faire des campagnes anti-braconnage l’année dernière. On s’est rendu compte que la situation était encore pire que ce à qui avait été expliqué. On s’est surtout rendu compte que Mayotte est un trésor de biodiversité assez peu connu. Quand on commencé à communiquer sur la campagne, il y a beaucoup de gens, même dans de notre base de sympatisants, qui ne situaient pas Mayotte sur une carte. C’est un trésor qui mérite d’être reconnu, c’est quand même le quatrième plus grand lagon du monde. Il était question, à un moment donné, de faire en sorte que ce lagon soit classé patrimoine mondial à l’Unesco. Malheureusement, cela n’a pas eu lieu. J’espère que ce sera le cas bientôt. Cela aiderait à protéger tout ce qui vit dans ce lagon. On a découvert en arrivant à Mayotte qu’il y avait une situation environnementale et sociétale extrêmement tendue, critique, où il est urgent d’agir et surtout un enjeu qui vaut vraiment la peine de se battre. Il est encore temps de sauver tout ça.
ERA ENVIRONNEMENT: Qui vous a alerté à Mayotte ? La population ? Les communautés locales ?
LAMYA ESSEMLALI: C’est une habitante de Mayotte qui nous a envoyés un message. Je l’ai ensuite rencontrée à Paris. On a discuté et on a tissé des liens avec beaucoup de locaux, beaucoup de maorais. On travaille en partenariat avec l’Association de sécurité des villageois de Msamoudu (ASVM), qui est composée de Maorais et d’Anjouanais. Msamoudu est un, village près de Saziley. L’ ASVM est la seule association sur place à part Sea Shepherd qui fait des patrouilles anti-braconnage. Il y a des anjouanais qui ont leurs papiers et d’autres qui n’ont pas de papiers. Ils sont installés depuis longtemps et font leur patrouille anti-braconnage! Ils adorent Mayotte, et à notre sens mériteraient de rester, parce qu’ils agissent mieux que les gardiens du Conseil Général, qui eux sont payés pour surveiller les plages et ne le font pas .
Crédit Photo: Sea Shepherd – Les bénévoles de l’association ASVM
ERA ENVIRONNEMENT: Comment le savez-vous?
LAMYA ESSEMLALI: Parce qu’on est sur place et qu’on le voit bien. On connaît les plages où ils sont censés patrouillés. On voit bien quand on y est que ces gardiens n’’y sont pas. On a repéré des tortues qui ont été braconnées, alors que les gardiens s’étaient camouflés dans leur cabane toute la nuit ! On les a vus aussi camoufler les cadavres de tortues au petit matin. On est sur place. On le voit!
ERA ENVIRONNEMENT : Où cela se situe exactement?
LAMYA ESSEMLALI :C’est à Saziley, une plage du Sud de Grande Terre, un joyeux de biodiversité. Il y a énormément de tortues qui vont pondre à cet endroit. C’était une zone qui était devenue absolument infréquentable, à cause de l’insécurité et du braconnage. Ce sont les bénévoles de l’ASVM qui ont pu mettre des patrouilles sur leur propres deniers. Ce sont des gens qui n’ont pas d’argent, qui travaillent dans la journée et qui ont mis en place des patrouilles de nuit pour rétablir un peu la sécurité sur la plage de Saziley près de leur village, pour protéger les tortues. Donc, nous quand on est arrivé on a rencontré ces personnes qui ont mis en place des patrouilles de nuit pour rétablir la sécurité sur la plage de Saziley, près de leur village pour protéger les tortues. Quand on est arrivé, on a eu envie de les aider. Nous sommes venus en renfort. On a essayé de les aider avec des lampes torches, des chaussures pour patrouiller, des véhicules.On mène des patrouilles aussi sur petite terre où là ils ne sont pas présents.Notre objectif maintenant est de mener davantage de patrouilles sur davantage de plages, parce que l’objet de frustration pour nous c’est de ne pas pouvoir surveiller toutes les plages. Toutes les nuits, on a des choix à faire. Malheureusement, on sait que là où ne sauront pas les tortues seront braconnées!
Tortues morte- Photo Credit: Sea Shepherd
ERA ENVIRONNEMENT: Mais, quand on vous écoute, quand on analyse votre pitch, on se rend compte que vous avez les moyens de suivre. Qu’attendez-vous du 1% pour la planète ?
LAMYA ESSEMLALI : On attend une aide financière. Nous n’avons pas les moyens suffisants. On a plusieurs campagnes à financer. A l’heure actuelle, on est pas en mesure de patrouiller sur toutes les plages, sur toute l’année, parce qu’on a pas le budget suffisant.
ERA ENVIRONNEMENT: On parle des billets, c’est bien ça?
LAMYA ESSEMLALI: Les billets, non …les bénévoles achètent les billets d’avion. Nous, on doit leur payer l’hébergement et l’alimentation. L’ensemble, mis bout à bout, cela revient extrêmement cher. Si on veut pourvoir être présent toute l’année, il va falloir augmenter le budget. Pour l’instant, on est pas en mesure de le faire.Je le répète, on a plusieurs missions à financer. On a demandé 40 000 euros au 1% pour la planète qui nous permettraient de financer le budget de l’hébergement sur Petite Terre qui est finalement le point de difficulté : on arrive pas à avoir d’hébergement à l’année. On rencontre à Petite Terre, un problème: les maisons en location sont disponibles uniquement entre juillet et août, parce que ce sont des métropolitains qui rentrent en métropole, pendant leurs congés annuels. Nous, on fait des campagnes de 4 mois et on espère bientôt 6 mois . L’idéal , c’est d’avoir une équipe entre 40 et 50 bénévoles simultanément, sachant que ce sont des campagnes difficiles et on recommande un maximum de temps de présence sur place, au moins un mois. Parce que ce sont des patrouilles de nuit qui durent longtemps. Au bout de 3 semaines, un mois, on a plus d’énergie suffisante.
ERA ENVIRONNEMENT: Savez-vous à quoi sert le marché parallèle des tortues ?
LAMYA ESSEMLALI: En fait, ce marché s’adresse à des chinois, des malgaches, des mahorais qui consomment la viande de tortues comme un met pour les mariages, ce genre de chose. En fait, c’est une France qui se vend chère aujourd’hui et qui est prisée par une partie de la population.
ERA ENVIRONNEMENT : Quel est votre rôle dans la sensibilisation des écoles et des écoliers ?
LAMYA ESSEMLALI: Alors, ça, c’est quelque chose que nous ferons à moyen terme. Nous, on est, entre guillemets, sous l’eau avec les patrouilles anti-braconnage. Je le répète, nos équipes ne dorment pas la nuit. Quand on patrouille 12 heures par nuit, on ne peut pas faire de la sensibilisation, se démultiplier , nettoyer davantage de plages et avoir un nombre important de bénévoles. Il y a un travail de sensibilisation à faire. Nombreuses sont les personnes à comprendre l’intérêt de défendre le lagon. Les tortues, ce sont des espèces clés du lagon, sans les tortues, le lagon meurt asxphixié. Si le lagon meurt, Mayotte meurt.C’est vraiment le message à transmettre . Les enfants sont très réceptifs à ce type de message. Notre présence sur place crée un engouement. Les gens voient qu’il y a une organisation qui veut les aider à sauver leur île et pas travailler seule : c’est très important ! Travailler avec les maorais crée un engouement. On est en train de voir un espoir qui renait. Je pense qu’ils se sentent pas mal délaissés, il y a avait une sorte d’abandon et de désespoir…
ERA ENVIRONNEMENT: Quel est votre relation avec l’IRD ?
LAMYA ESSEMLALI: L’IRD fait de la recherche. A part l’ASVM et nous, aucune association ne lutte contre le braconnage. Quelques associations font de la sensibilisation…
ERA ENVIRONNEMENT : Parlons de vous maintenant, qui est Lamya Essemlali ? Pourquoi vous intéressez-vous à des zones aussi lointaines ? Qu’est-ce qui vous a fait intégrer Sea Shepherd France ?
LAMYA ESSEMLALI :Moi, je suis quelqu’un qui déteste l’injustice. Moi, ce qui me touche c’est une île magnifique, qui mérite qu’on la défende. Il y a des gens sur place qui se battent qui sont très peu aidés, avec une biodiversité qui est irremplaçable, complètement détruite. Mayotte, c’est le genre de combat qui correspond tout à fait à Sea Shepherd. Agir là où il y a lieu de le faire…J’ai commencé à faire du bénévolat dans des associations environnementales parce qu’à la base, j’aime les animaux. C’est mon amour pour les animaux qui m’a amenée à l’écologie progressivement, de manière assez logique. Je me suis engagée dans des associations qui avaient pignon sur rue : Green Peace et WWF, mais c’était pas assez combatif pour moi. Quand j’ai rencontré Paul Watson, il y a treize ans maintenant, c’est vrai que cela m’a tout de suite parlée. Son modus operandi c’est quelque chose qui me correspond qui m’a touchée. J’ai eu envie de le rejoindre, de l’aider. Je lui ai demandé ce qu’il fallait faire pour l’aider. « Si tu es prête à risquer ta vie pour une baleine, embarque sur un bateau, » m’a-t-il dit. J’avais jamais vu de baleine de ma vie, à ce moment-là, mais je savais que j’étais prête à ça. Donc, j’ai embarqué très rapidement en Antarctique sur ma première mission et puis de fil en aiguille, on a multiplié les campagnes. On a fondé l’antenne française, puisque je trouvais dommage qu’une organisation de ce type n’existait pas en France, et ne pouvant pas avoir le budget suffisant pour mener à bien toutes ses campagnes. Les choses se sont faites naturellement. En parallèle, je continuais mes études. J’ ai obtenu par la suite un master en sciences de l’environnement. Ce qui a permis d’argumenter mon choix à mes parents. D’origine marocaine, j’ai grandi en banlieue parisienne, mais tous les étés, on allait à Casablanca. Je passais mes étés sur la plage face à l’océan atlantique : c’est vrai que ça faisait une grosse différence avec le bitume de ma banlieue , Gennevilliers, dans le nord de Paris. L’océan, a toujours été symbole de liberté pour moi.
Propos recueillis par Houmi Ahamed-Mikidache
A propos de Mayotte
Les eaux turquoises du Lagon de l’île de Mayotte, 101 département français, situé dans l’archipel des Comores, sont méconnues du grand public. L’île de Mayotte est revendiquée par l’Union des Comores, depuis l’accession à son indépendance en juillet 1975. Avec ses 1100 km2 et la richesse de sa biodiversité, ce lagon est le premier en outre-mer. Il est décrété Parc Naturel Marin depuis 2010, le second en France. Ces eaux turquoises accueillent 760 espèces de poissons différents, 22 espèces de mammifères marins soit ¼ de la diversité mondiale, des baleines à bosse, des dauphins, des dugongs et deux types marines ( la tortue imbriquée et la tortue verte). Mes ces tortues sont menacées.Depuis un an, l’ONG de défense des océans, Sea Shepherd France vient au secours de ces espèces menacées par le braconnage.