Par Houmi Ahamed-Mikidache
L’information circule depuis une semaine. La jeunesse comorienne s’est révoltée. Au lendemain de l’annonce des résultats de l’élection présidentielle aux Comores du 14 janvier, des scènes de pillages ont eu lieu. Des reportages ont été diffusés par les chaînes de télévision et de radio internationales. Quelques jours après cette révolte, des arrestations multiples ont eu lieu dans la capitale en fin de semaine. Mais ces arrestations posent question et la révolte aussi. Décryptage.
Par Houmi Ahamed-Mikidache
» Nos enfants ont été placés dans le camps militaire de Mdé (près de Moroni), ils sont au moins 300 et aucune personne ne s’exprime, pourtant nous avons une société civile », se plaint dimanche après-midi Ralia Aboudou Dafiné, ancienne première dame de l’île de la Grande Comore sur les réseaux sociaux. Elle affirme qu’il y a des mineurs emprisonnés dans ce camps militaire. Déterminée, Dafiné demande aux femmes comoriennes de réagir pour aider cette jeunesse. « Moi, je ferai le nécessaire pour me rendre dans ce camps, je n’ai pas peur pour ma vie, ce sont nos enfants », souligne cette femme qui rappelle qu’elle s’est battue aux côtés d’autres femmes par le passé.
« Une situation sous contrôle? »
Dimanche matin, sur un la page facebook d’un média local, le porte-parole du gouvernement et ministre de l’environnement, Houmed Msaidie ne donne aucune information à ce sujet. La question n’a pas été posée par le journaliste. Pour le porte parole du gouvernement, la situation est sous contrôle dorénavant. En milieu de semaine dernière, il a indiqué aux médias que cette jeunesse révoltée est manipulée par l’opposition. Ce que n’approuve pas dimanche soir Said Mchangama, ancien ministre devenu directeur de la radio Hayba FM basée à Moroni. Il en explique les raisons, dans une intervention en direct sur la page Facebook de son média . » On le sait, un parti politique permet de faire émerger des idées, et d’éduquer, or, il n’y a pas d’idées dans les partis politiques de l’opposition ou de l’Etat », reconnaît-il, en expliquant ne plus faire de politique depuis deux ans.
Mchangama affirme que les politiques ont failli et qu’il est aussi responsable de cette situation, du désespoir des jeunes. Il demande également avec véhémence leur libération. « Je suis en déplacement, et j’ai appris que ces arrestations ont eu lieu entre hier et aujourd’hui alors que ces jeunes jouaient (à Moroni) », souligne-t-il. Il y a, selon lui, parmi ces jeunes, les expulsés de l’opération Wuambushu à Mayotte, l’expulsation, datant du mois d’avril dernier, de jeunes comoriens des trois îles. Pour Mchangama, la jeunesse comorienne de Mayotte expulsée, décrite comme délinquante, n’a pas été encadrée et éduquée sur l’île sous administration française. Depuis l’accession à l’indépendance des trois îles en juillet 1975, tous les chefs d’Etat comoriens revendiquent sucessivement la réintégration de Mayotte dans l’archipel. A des niveaux différents et contestables pour leur manque de réactivité, selon des observateurs.
Moroni, le microcosme de l’archipel
Moroni, la capitale des Comores, est le microcosme de l’archipel. La ville concentre de nombreuses personnes issues des milieux ruraux et urbains de la Grande Comore, mais aussi des autres îles. Pour Moindjié ( nom d’emprunt), un commerçant vivant dans la capitale, les conditions de vie économique et sociale ne sont pas faciles . » Ces jeunes emprisonnés, âgés entre 10 et 20 ans environ, viennent des quartiers populaires de Moroni, Jomani, Bouzuni, Majajou, Caltex et Adoudja », décrit-t-il. Leurs familles, souvent défavorisées, se retrouvent dans les bidonvilles de la capitale. Pendant le cyclone Kenneth, ce sont ces quartiers qui ont été les plus affectés, selon des experts. Leurs maisons de fortune, des maisons en tôle ont vite été reconstruites. Le propriétaire du bidonville le plus peuplé de Moroni est un ancien candidat à l’élection présidentielle. Ce dernier fait louer des parcelles de terres.
Un rapport de la Banque Mondiale, publié en 2021, intitulé « réimaginer l’urbanisation aux Comores », décrit en profondeur la problématique du logement dans ce pays et apporte des recommandations. Ces recommandations n’ont pas été mises en oeuvre. Il s’agit d’un renforcement des institutions politiques, et un recadrement des actions de développement durable et d’action climatique intiées par les communes. Les impacts du cyclone Kenneth sur l’environnement urbain, dans notamment le secteur du logement, ont mis en évidence les défaillances du processus de reconstruction rapide de la ville. Moroni est présentée comme la plus inégale au niveau national. Près de 78% de la croissance démographique de cette ville résulte de la migration interne.
Pour Moindjié, le commerçant travaillant à Moroni, la situation est compliquée aux Comores, plus particulièrement pour les jeunes, souvent livrés à eux mêmes. Cet homme a décidé de fermer temporairement les portes de son commerce. Ce dernier, observateur du soulèvement explique avoir vu de nombreux écoliers. » C’était comme un jeu pour certains ». Mais il avoue que le quotidien des familles est alarmant. »Les gens ont faim ». La première vidéo diffusée sur les réseaux sociaux montre des pillages de sacs de riz. « La vie est chère et les familles sont souvent démunies », relève le commerçant. Le riz est l’une des principales denrées alimentaire aux Comores, mais il n’est plus accessible à tous avec l’inflation. En 2023, l’augmentation des prix mondiaux des denrées alimentaires et des carburants a fait régresser l’économie du pays, selon la Banque Mondiale. Les premières victimes sont les ménages, avec les dépenses liées à l’alimentation.
D’après le quotidien national, Al Watwan de ce lundi, 356 arrestations auraient eu lieu depuis les début des émeutes. Ce ne sont pas des chiffres officiels, fait savoir le journal. La plupart des personnes arrêtées seraient placées en détention préventive dans deux localités, à Moroni et à Mdé, près de la capitale . Le journal comorien ne précise pas l’âge des personnes emprisonnées. Elles sont soupçonnées d’avoir vandalisé l’entrepôt de riz au nord de la capitale. Les images diffusées en direct sur facebook ont permis de les reconnaître, indique le quotidien.
Pour rappel, le président sortant, Azali Assoumani, a été réélu dimanche 16 janvier dès le premier tour, avec plus de 62% et un taux de participation de 16%. Les opposants politiques s’élèvent contre ces résultats provisoires ainsi que ceux concernant l’élection des gouverneurs des trois îles. Certains opposants ont établi un recours auprès de la Cour suprême. Un jeune homme a été assassiné et cinq autres personnes ont été blessées lors des heurts avec les forces de l’ordre, la semaine dernière.
Mise à jour le 24 janvier: La Cour Suprême a annoncé la réélection du président Azali Assoumani le 24 janvier élus avec 57,2% des suffrages.