Lors de cette période de canicule (deuxième depuis le début de l’été 2022), les médias ont l’opportunité, voire la responsabilité, de faire comprendre et faire savoir que les canicules sont une conséquence de la crise climatique. Même si la prise de conscience devient de plus en plus importante, 93% des Européens considèrent que la crise climatique est un problème sérieux… nous peinons à agir (Eurobarometer, 2021). Les médias ont un rôle majeur à jouer pour faire comprendre les enjeux de la crise climatique ET favoriser le passage à l’action à grande échelle (Priest, 2016). Mais la communication climatique est extrêmement délicate car nous risquons de tomber dans la banalisationd’un côté, ou de l’alarmisme de l’autre. Donc comment faire ?
D’abord, il est important de créer le lien entre les canicules et la crise climatique (GIEC, 2022). La crise climatique est créée par le fait de brûler des ressources fossiles qui émettent du CO2 et autres gaz à effet de serre. Ce C02 crée une couche de gaz autour de la terre qui fait que la chaleur ne peut pas être renvoyée et s’accumule sur la surface de la terre. C’est cette couche de gaz qui provoque l’effet de serre.
Donc plutôt que de montrer des gens qui se rafraichissent dans des fontaines ou qui mangent des glaces, ce qui banalise le sujet, il serait plus judicieux de montrer des images de gens qui se trouvent dans une serre afin de comprendre tout de suite pourquoi on a chaud lors de cette canicule et que nous contribuons à créer cette serre en émettant du CO2.
Une fois que ce lien est fait avec la canicule et le constat scientifique de la crise climatique, nous courrons le risque de tomber dans de l’alarmisme qui risque de déprimer, de provoquer du déni ou de faire culpabiliser les gens (Aronson, 2008). Les scientifiques du climat ont fait un travail remarquable et grâce au GIEC le constat scientifique est accessible à tous. Les ONG aident à vulgariser ces travaux, et font de la pédagogie, comme La Fresque du Climat. Des mouvements comme Extinction Rebellion ou Fridays for future sont indispensables pour éveiller la conscience et capter l’attention. Même si cela peut être primordial pour éveiller la conscience, ces angles d’information ne favorisent pas l’action climat à grande échelle.
Alors comment favoriser le passage à l’action grâce au traitement d’information dans les médias ?
Une fois que le constat est fait, on accueille les réactions émotionnelles des gens. C’est important de reconnaître nos émotions, car ce sont elles qui nous font bouger et nous aident à agir. Et l’art du communicant sera de convertir les émotions négatives, la colère, le désespoir, la déception, dans une énergie positive qui redonne l’espoir et le pouvoir d’agir (Nabi et al., 2018). Trop souvent les médias s’arrêtent à la description de ce qui ne va pas. Et cela favorise l’inaction, le sentiment d’impuissance face à un enjeu global et complexe etrenvoie la responsabilité des uns vers les autres. Au contraire, pour redonner le pouvoir d’agir on peut beaucoup apprendre de la psychologie sociale.
Entre autres, la psychologie sociale nous livre 2 leçons majeures que les journalistes devraient garder à l’esprit quand ils couvrent l’actualité de la crise climatique qui sont le pouvoir des normes sociales et l’influence des exemples modèles des pairs.
Le traitement d’information dans les médias contribue à la validation des normes sociales qui influencent grandement nos comportements (Frank, 2020). Ces normes c’est ce qui est vu comme « normal » dans la société ; quand on fait des choses sans se poser des questions car « ça a toujours été comme ça » ou « tout le monde fait comme ça » ou alors « chez nous, on fait comme ça ». Et ces normes sont avant tout créées par du mimétisme. Les gens agissent en fonction de« qu’est-ce que fait ma famille, mes amis, mes voisins, mes collègues, mes concurrents ? » C’est ce facteur social qui est le plus important à prendre en compte aujourd’hui pour favoriser l’action climat et sur lequel les médias ont une influence majeure en choisissant les exemples qu’ils mettent en avant.Pour favoriser le passage à l’action il faut donc évoquer des solutions et des actions que nos pairs mettent en place. Beaucoup de solutions existent mais peinent à monter en puissance et les médias peuvent les amplifier en montrant des solutions concrètes illustrées par ce que font les gens, les entreprises, et les états pour agir.
Dans le contexte de la communication sur les canicules ces solutions sont à deux niveaux : la communication de crise et l’adaptation à la situation, d’une part et la communication sur les solutions et l’atténuation d’autre part. On pourrait par exemple montrer comment les gens font face à la canicule actuelle, en fermant les volets la journée, en s’hydratant, et en humidifiant ses habits. Cet axe serait le traitement journalistique classique d’une vague de chaleur.
Mais surtout pour diminuer le risque des canicules futures, les journalistes pourraient montrer des gens qui plantent des arbres : leur ombre naturel rafraichit pendant les canicules et il stocke du CO2 dans l’atmosphère pour réduire l’effet de serre. Enfin, les journalistes peuvent mettre en avant desinitiatives solidaires et des associations, notamment locales, qui pourront accompagner et proposer beaucoup de pistes d’actions adaptées à chaque situation. À la suite de la canicule les journalistes devront continuer à mettre en avant le sujet du climat et évoquer des exemples de solutions que les gens intègrent dans leur vie quotidienne (De Meyer et al., 2020).
Comment les médias traitent-ils cette information ?
Or, aujourd’hui beaucoup de communications en France tombent soit dans l’alarmisme, soit dans la banalisation. A l’international, l’initiative Covering ClimateNow est notable puisqu’il s’agit d’une collaboration de 500 médias à travers le monde pour mieux traiter le sujet du climat dans la presse. Ils partagent des bonnes pratiques en matière de journalisme sur le climat, proposent des formations et des prix journalistiques. En France, le traitement de la crise climatique progresse dans les médias, mais reste encore très marginal, même si certains médias locaux mettent en avant des initiatives locales avec des actions constructives(Reporters d’Espoir, 2020). Pour aller plus loin, il existe le journalisme de solutionavec des acteurs comme Impact(s) ou Sparknews et Reporters d’Espoir ont établi un guide de bonnes pratiques journalistiques pour traiter du climat.
Enfin, en tissant le lien entre les scientifiques et les professionnels, la chaire COASTet l’agence de communication ICF, avec son climate centre,ont publié un rapport sur la communication climatique et viennent de lancer CLIMATE CONNECT, un cycle de conférences et une communauté d’acteurs engagés pour impulser une nouvelle communication climatique autour de 3 piliers : nouvelles pratiques, nouveaux comportements et nouveaux récits. Ce nouveau collectif de communicants vise à célébrer les pionniers de la transformation durable et montrer les exemples concrets de nouvelles pratiques, à impulser des nouveaux comportements qui favorisent notre bien-êtreen respectant les limites planétaires et à imaginer des nouveaux récits positifs autour des futures désirables en recréant du lien avec le vivant et en valorisant l’immatériel.
Dr Helen ETCHANCHU est Professeur associé et co-titulaire de la chaire COAST (Communication and organizing for sustainability transformation), à la Montpellier Business School. Ses recherches explorent le pouvoir du langage dans la transformation durable de nos sociétés. Elle est cofondatrice de OS4future, un mouvement académique engagé dans l’action pour le climat.