COP28: Les négociations à Dubaï semées d’embûches

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Les observateurs l’avaient prédit. La session technique annuelle à Bonn s’est avérée compliquée. Ces négociations ont été le théâtre de contradictions et de déceptions, soulignent-ils, laissant place à de multiples questions. Explications.

Par Houmi Ahamed-Mikidache

Deux semaines de négociations où se sont invités de nombreux désagréments pour les délégués et les observateurs. Des harcèlements sexuels se sont même immiscés dans les rencontres. A la plénière de clôture, Simon Stiel, Secrétaire Exécutif de la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement climatique ( CNUCCC), s’en est même offusqué, rappelant la nécessité pour les délégués de se respecter et demandant des excuses aux victimes. Un code de conduite devrait bientôt voir le jour au sein de la Convention. Les interventions, objections, approbations, éclaircissements et autres protocoles ont suivi leur cours. Ils se sont terminés à 23:40, heure locale.

La représentante des îles Saint Kitts et Nevis au nom des  PEID
La représentante des îles Saint Kitts et Nevis au nom des PEID, lors de la plénière de clôture

Pour la reconnaissance du GIEC

La séance s’est ouverte par un témoignage percutant. Les îles Saint Kitts et Nevis, au nom du groupe des Petits Etats Insulaires en Développement (PEID), rassemblant 44 membres qui ont en commun leur vulnérabilité aux impacts du changement climatique, notamment la hausse du niveau de la mer provoquant la disparition de plusieurs îles, expriment d’emblée leur mécontentement et inquiétude vis-à-vis des textes de négociations. Pour la première fois, fait remarquer la représentante du groupe des PEID, « les textes des négociations ne mentionnent pas les résultats du rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du Climat (GIEC). Le processus ici doit être basé sur la dernière et meilleure science disponible. Le rapport du GIEC est l’évaluation la plus complète et la plus solide que nous ayons sur le changement climatique, et nous devons donner suite à son message pour amener le réchauffement climatique à 1,5 Celcius. C’est une question de survie pour les PEID », précise la représentante des îles Saint Kitts et Nevis, situées dans les Caraïbes. Plusieurs groupe de pays partagent à leur tour le même point de vue. L’Union Européenne, le Groupe d’intégrité environnementale ( GIE), comprenant cinq pays la Suisse, le Mexique et la Corée du Sud, Monaco et le Liechtenstein, suivi du Canada, de la Norvège, des Etats-Unis, de la Nouvelle Zélande, de l’Australie, et du Sénégal soulignant à l’unanimité l’importance du 6ème rapport du GIEC.  » C’est l’évaluation la plus complète et robuste des connaissances scientifiques que nous avons », répète la représente de l’Union Européenne.

La conférence à Bonn
La conférence à Bonn, en amont de la COP 28 @eraenvironnement

Pourtant, bien qu’approuvant, les résultats du dernier rapport du GIEC, les représentants des pays développés ont selon la société civile bloqué le processus des négociations pendant ces deux semaines, en refusant leur responsabilité pour le financement, et le financement notamment de l’adaptation et du transfert des technologies. « À eux seuls, les États-Unis prévoient d’accroître la production de combustibles fossiles de plus de 300 %. Alors que nous nous rendons à Dubaï à l’occasion de la COP28 en novembre, il y a de plus en plus d’incertitude au sujet des pourparlers sur le climat afin de trouver des solutions réelles, des financements réels et des mesures concrètes pour réduire les émissions mondiales qui peuvent aider le monde à s’engager sur la voie d’une transition juste », expose quelques heures avant la clôture des négociations le Global Campaign to Demand Climate Justice (DCJ), un réseau de plus de 200 réseaux et organisations travaillant à l’échelle mondiale, régionale et locale sur la justice climatique.

« Nous avons un engagement et nous devons le tenir »

Simon Stiel- Secrétaire Exécutive à la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique à Conférence à Bonn @ eraenvironnement
Simon Stiel- Secrétaire Exécutive à la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique à Conférence à Bonn @ eraenvironnement

La situation plus ou moins chaotique des négociations n’est pas ignorée par Simon Stiel, le Secrétaire exécutive de la convention. Intervenant en début de soirée, comme d’accoutumée dans les plénières, il invite, sans détour, les délégués à agir .

 » Nous avons un engagement et nous devons le tenir. La crédibilité de ce processus est menacée. N’oublions pas qu’il n’y a pas d’autre lieu pour trouver la solution : nous allons tout simplement échouer si nous ne changeons pas la conversation sur la finance à tout moment entre maintenant et la COP », exhorte Simon Stiel, Secrétaire exécutive de la Convention.

Pour le World Resources Institute, un organisme international de recherche travaillant entre autres avec la société civile et des gouvernements, la question du financement mondial de l’adaptation demeure un problème.« Les pays n’ont pas réalisé beaucoup de progrès par rapport à l’Objectif mondial sur l’adaptation, laissant libre cours aux délibérations lors des ateliers avant la COP28. Il est essentiel que les pays s’entendent sur un ensemble ambitieux d’objectifs pour les mesures d’adaptation, et le financement doit être beaucoup plus accessible afin que les causes profondes de la vulnérabilité climatique puissent être abordées de front, » décrit David Waskow, directeur international du climat à l’Institut des ressources mondiales, dans une déclaration diffusée à la fin des négociations à Bonn.

D’après une étude intitulée  » HOLLOW COMMITMENTS 2023 : an analysis of developed countries’ climate finance plans”, publiée ce jeudi 14 juin par l’ONG Care, l’engagement financier pour l’adaptation, par les pays riches dont la France, est insuffisant. Seuls 14,3 milliards de dollars par an sont prévus pour le financement de l’adaptation. La promesse au plus tard en 2020 des 100 milliards de dollars par an, dont 50 milliards consacrés à l’adaptation n’a pas été honorée par les pays développés. Seulement 10 pays contributeurs sur 26 intègrent l’adaptation dans leur soumission : le Canada, le Danemark, la France, le Japon, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, les Etats-Unis, le Royaume Uni et la Commission Européenne.

« L’adaptation représentera moins de la moitié du total de leur financement climat »

Trois plus grands contributeurs ont renoncé à atteindre un équilibre atténuation/adaptation: la France, le Japon et les Etats-Unis. Ces pays, relève Care, ont indiqué que l’adaptation représentera moins de la moitié du total de leur financement climat, ce qui compromettra l’atteinte d’un équilibre, constatent les auteurs de l’étude. A Bonn, lors de la clôture, les pays en développement insistent pourtant sur la responsabilité historique des pays développés sur les causes du changement climatique, une responsabilité historique, qui selon ces derniers est ignorée. Les pays en développement font face à une attitude inversée.

« Nous insistons sur notre déclaration d’ouverture. Le système multilatéral sur le changement climatique est basé sur la CCNUCC, son Protocole de Kyoto et l’Accord de Paris. Cependant, nous avons vu dans ces négociations (SBs) de continuelles tentatives des pays développés partenaires de renégocier le régime climatique contraignant existant, négligeant les principes fondamentaux tels que le RCMD ( Responsabilités Communes, mais différenciées), l’équité et les engagements existants, en particulier sur les moyens de mise en œuvre, » expose le négociateur de Cuba.

Cuba, Représentant le Groupe 77+Chine à la Conférence à Bonn
Le représentant de Cuban au centre en chemisier blanc , Représentant le Groupe 77+Chine à la Conférence à Bonn- Credit Photo:@eraenvironnement

Composé de 133 pays en développement et de la Chine, le Groupe 77+Chine représenteraient 85% de la population de la planète. Intervenant une seconde fois, l’Union Européenne salue la collaboration entre pays développés et en développement sur le programme d’atténuation à venir, mais glisse quelques phrases à double tranchant . « Les récits qui divisent sont un jeu à somme nulle. Nous n’avons pas été en mesure d’avoir un espace officiel dans cette séance pour aborder les mesures d’atténuation à un moment où les mesures de transformation sont essentielles », explique le représentant de la Suède pour l’UE qui regroupe 27 pays.

« L’espoir peut-il renaître?

Plusieurs discours contradictoires font face dans la séance plénière de clôture. Le président de la séance technique SB58, Nabeel Munir, ambassadeur du Pakistan, fait une intervention remarquée. « Travaillons à rebâtir la confiance. Commençons à nous parler plutôt qu’à se parler. Comprenons que la négociation est une façon de parvenir à une fin, » veut rassurer le co-président de la séance technique SB58, originaire du Pakistan, président du G77+Chine à la COP 27. Le Pakistan a subi l’an dernier de nombreuses inondations et le pays, sous la présidence du groupe 77+ Chine s’est démené à la COP 27 en Egypte, avec d’autres groupes de pays en développement, pour l’intégration dans les textes de la mise en place d’un fonds pour les pertes et dommages. Une décision adoptée historique.

A Bonn, dans son intervention, présentée par Cuba, le Groupe 77 plus la Chine fait pourtant remarquer la lenteur du processus dans la réponse sur la mise en œuvre du financement des pertes et dommages. « Nous manquons encore de l’ambition et du compromis nécessaires de la part des pays développés pour réaliser des progrès équilibrés sur toutes les questions, en particulier en ce qui concerne les moyens de mise en œuvre notamment sur les pertes et dommages, sur les questions cruciales pour les pays en développement sur la base de la recherche de la sous-région », relate le représentant de Cuba pour le G77+Chine. Plusieurs groupes de pays en développement comme le Groupe Afrique et le groupe des Pays les Moins Avancés (PMA) s’alignent tout au long de la soirée aux prises de position du groupe 77+Chine. La plénière se termine à 23:40 avec déception.

Pour certains observateurs, quelques points de négociations semblent aboutis, cependant. Le chef de la COP28, Ahmed Abdul Jaber, président des Emirats Arabes Unis, et de la compagnie pétrolière Abu Dhabi Oil National Company a brièvement assisté à la conférence de Bonn. Il a admis qu’une réduction progressive des combustibles fossiles est maintenant « inévitable ». Qu’est-ce que cela signifie? Quels efforts seront présentés à la COP 28 ?

Pour David Waskow, « le bilan mondial passe officiellement de la phase technique à la phase politique, mais le processus lent pose question . Pour rappel, le bilan mondial est inscrit dans l’Accord de Paris. Conclu lors de la COP 21 en 2015, le Bilan mondial permet d’évaluer les efforts des états, des collectivités ou encore des entreprises pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, rehausser le financement et permettre aux pays de s’adapter au changement climatique.

« Les discussions sur le tout premier bilan mondial se sont enlisées sur la façon d’intégrer le financement et le soutien. Cela ajoute un autre obstacle à l’exploitation du bilan mondial pour mobiliser les actions de transformation de la COP28 afin de réduire les émissions, de renforcer la résilience et de fournir plus de financements », indique-t-il.

La confiance semble perdue, mais l’espoir peut-il renaître? « Bien que les pourparlers à Bonn aient été difficiles, il y a de nombreuses occasions dans les mois à venir de donner de l’élan à la COP28. Le Sommet sur un nouveau pacte financier mondial qui se tiendra la semaine prochaine ( à Paris) est l’occasion de faire émerger de nouvelles idées pour surmonter les épineux défis financiers auxquels sont confrontés les pays en développement. L’Organisation maritime internationale a l’occasion d’adopter des redevances sur le carbone qui peuvent servir à financer le climat. Le sommet sur les ambitions climatiques du Secrétaire général des Nations Unies en septembre sera une occasion importante pour les pays, les entreprises et les institutions financières de déposer des engagements qui appuient les objectifs du Bilan mondial. Et les négociateurs auront un certain nombre d’ateliers pour faire des progrès discrets mais cruciaux avant COP28 à Dubaï, » détaille le directeur du World Resources Institute. La COP 28 aura lieu à Dubai du 30 novembre au 12 décembre 2023.

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