DÉCRYPTAGE. Après une semaine de longues négociations, les ministres des 195 pays prennent le relais des experts. Le texte de l’accord est loin de faire l’unanimité.
En octobre dernier, les négociations à Bonn ont accouché d’un texte jugé imparfait par les pays en voie de développement. Pourtant, avant ces négociations, les deux coprésidents de l’ADP*, Daniel Reifsnyder et Ahmed Djoghlaf avaient préparé un projet d’accord basé sur l’apport des pays. Fin octobre, le président de PACJA, le réseau panafricain de la société civile africaine pour la justice climatique, Mitika Mwenda, s’était plaint et avait publiquement demandé le retrait du coprésident de la plateforme ADP, Ahmed Djoglaf. Ce dernier ne défendait pas les intérêts de l’Afrique, selon M. Mwenda. Les pays en développement, dont l’Afrique du Sud, représentés dans le Groupe 77 + Chine, ainsi que le groupe des négociateurs africains et celui des pays les moins avancés et les petits États insulaires en développement, ont trouvé le texte de Bonn pas équilibré et surtout assez éloigné de leur point de vue.
Des embûches, toujours des embûches
Quelques mois plus tard, à Paris, c’est bis repetita, à l’exception de la demande de retrait du coprésident par la société civile africaine. Le chemin est donc toujours semé d’embûches et, plus que jamais, trouver un terrain d’entente pour les 195 pays n’est pas une mince affaire. « Le texte est toujours long et ne souligne pas assez les enjeux : l’ambition pour atteindre les 1,5 degré, la transparence, l’accès à la finance climatique et le nouveau mécanisme de pertes et préjudices dans l’accord », explique Giza Gaspar Martin, de l’Angola, actuel président du groupe des pays les moins avancés. Pendant une semaine les négociateurs du monde entier se sont penchés sur le texte de Bonn que les négociateurs des pays en voie de développement ont jugé long. De fait, après coup, le projet d’ accord est passé de 50 pages à 38. Il a été présenté par les deux coprésidents et remis ce samedi à Laurent Fabius, président de la COP. Les négociations vont se poursuivre cette semaine, en vue d’obtenir un accord contraignant. « L’accord que nous sommes en train de négocier aura une partie contraignante et une autre partie non contraignante. La partie contraignante devrait concerner la mobilisation des ressources par les pays développés, l’ambition, le transfert des technologies, la transparence et les ressources innovantes », précise Youssouf Hamadi, négociateur des Comores, pays africain appartenant à la fois au groupe Afrique, celui des petits États insulaires en développement, des pays les moins avancés (PMA), au Groupe 77 + la Chine, et à la Ligue arabe.
Les conditions économiques doivent être exclues du processus de financement
Mais cette fois-ci, ce sont les ministres qui prennent le relais, tout en tenant compte des réflexions émises par leurs négociateurs. À l’issue de la présentation du projet d’accord, le groupe des pays les moins avancés a fait part de son mécontentement : « Les problématiques des pays les moins avancés ne sont pas équitablement représentées dans le texte. Si l’accord sur le climat ne convient pas aux pays les plus vulnérables parmi nous, comment pouvons-nous dire que c’est un succès ? » s’est interrogé Giza Gaspar Martin, de l’Angola, actuel président du groupe des pays les moins avancés. Au milieu de la semaine dernière, l’Afrique du Sud, au nom du Groupe 77 + la Chine, a de nouveau exprimé ses inquiétudes concernant le texte d’accord. « Le Groupe 77 + Chine est profondément inquiet de la tentative [des pays développés] d’introduire des conditions économiques dans le volet financement en cours de négociation à Paris. Cette approche va à l’encontre de la Convention [des Nations unies sur le changement climatique], du mandat de l’ADP et de la souveraineté des pays. Toute tentative par les pays développés de remplacer l’obligation fondamentale de fournir le soutien financier aux pays en voie de développement, avec de nombreuses conditions économiques arbitraires est une violation des règles multilatérales mises en place et menace l’issue finale de Paris », a déclaré la diplomate sud-africaine. Elle s’est aussi prononcée contre le fait que la finance climatique soit « fragmentée », car cela ne leur permet pas d’avoir une réelle vision de ce que représente globalement la finance climatique « maintenant et après 2020 ».
La question du financement toujours en suspens
Au début de la conférence de Paris, le groupe des négociateurs africains a présenté un plaidoyer pour la mobilisation des 100 milliards par an, à partir de 2020. Il faut rappeler qu’en 2009, les pays développés s’étaient engagés à mobiliser 100 milliards de dollars par an, à partir de 2020, pour aider les pays en voie de développer à faire face aux effets du changement climatique par l’adaptation et l’atténuation. À ce jour, 62 milliards de dollars ont été mobilisés depuis 2014. « La part des flux alloués à l’adaptation serait en deçà de 20 % (16 à 18 % du total) dans la réalisation dans cet engagement », précise-t-elle. Multiplier par 4 le financement de l’adaptation au profit des plus vulnérables, en passant de 8,5 milliards de dollars en 2014 à 32 milliards en 2020 par an la part d’adaptation pourrait augmenter, selon le groupe des négociateurs africains, « en priorisant les mécanismes financiers sous la Convention climat (Fonds vert climat, Fonds environnement mondial, Fonds pour les PMA, Fonds d’adaptation…) ». La diplomate sud-africaine, quant à elle, salue les annonces récentes faites par plusieurs pays développés, d’alimenter le Fonds mondial pour l’environnement, à travers deux fonds pour l’adaptation, « sous-alimentés », selon ses termes. Le Fonds pour les pays les moins avancés et le Fonds spécial pour les changements climatiques vont être effectivement enrichis de 248 millions de dollars. Mais Mme Diseko, au nom du Groupe 77 + la Chine reste sceptique et sur ses gardes. « Nous devons avoir une approche cohérente et détaillée des moyens de mise en œuvre, incluant la mise à disposition du financement, des nouvelles technologies et du renforcement des capacités », souligne-t-elle.
* L’ADP est un groupe de travail des différents pays et groupes représentatifs établi à Durban en 2011 dans le cadre de la conférence des Nations unies sur le changement climatique. Littéralement, le groupe de travail Ad Hoc est un organe subsidaire qui permet d’établir un protocole, après celui de Kyoto. Cette plateforme de travail, selon les termes de la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique, devrait établir un instrument juridique à l’issue de la 21e session de la conférence des parties (COP) à Paris. La mise en œuvre des éléments présentés dans cet instrument juridique devrait commencer en 2020.
** Le Protocole de Kyoto : signé en 1997 au Japon lors de la 3e COP, il demande aux pays les plus industrialisés (37 au départ) de s’engager à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (vapeur d’eau, dioxyde de carbone, ozone…). Les États-Unis et la Chine n’ont pas ratifié ce protocole. Entrée en vigueur en 2005, cet accord contraignant est arrivé à échéance à la fin de l’année 2012 sans pour autant avoir été respecté.