COP 28 : Un accord mondial adopté sans l’approbation des petits États insulaires en développement

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Le président de la COP 28 Sultan Al Jaber applaudi par la salle plénière- @eraenvironnement

Les pourparlers des Nations Unies sur le climat se sont achevés aujourd’hui après une longue lutte de 48 heures comme d’habitude, avec des plénières prévues et reportées à la dernière minute, suivies de longues heures de procédures, parsemées par de longs discours des délégués. Mais cette année a été fondamentalement différente. Les enjeux étaient élevés pour les pays développés et les grands producteurs de pétrole, de gaz et de charbon, en particulier. Plus de 2400 entreprises liées aux énergies fossiles ont participé à la conférence des Nations Unies sur le climat. Des observateurs rapportent qu’ils ont indirectement participé aux négociations. Et c’était vraiment difficile à supporter, précisent-ils.

Adoption du premier bilan mondial

Le bilan mondial vise à informer sur la façon dont le monde va éliminer progressivement les combustibles fossiles et atteindre 1,5 degré Celsius recommandés par la science. Il vise aussi à savoir comment les pays en développement seront aidés à s’adapter et à atténuer le changement climatique, voire à survivre.

John Kerry, Envoyé spécial américain pour le changement climatique, applaudissant l’adoption du texte -@eraenvironnement


Au cours de ces deux semaines, l’Alliance des Petits Etats Insulaires en Développement n’a pas manqué de s’imposer à travers des discours publics en se faisant entendre à travers différentes coalitions, en tapant du point sur la table de négociation pour faire réagir la planète, en expliquant leur trente années de lutte pour tenir compte des pertes et des dommages. Ils ont également salué la première opérationnalisation du fonds pour pertes et dommages lors de la cérémonie d’ouverture de la COP28 le 30 novembre. Ils ont exprimé haut et fort leur désapprobation du dernier texte de négociation du 11 décembre. Pourtant, ils ont été rejetés à la dernière minute.

« Nous ne voulions pas interrompre l’ovation debout quand nous sommes arrivés dans la salle, mais nous sommes un peu confus sur ce qui s’est passé : il semble que vous venez d’acter la décision, mais les petits États insulaires en développement n’étaient pas dans la salle », informe Anne Rasmussen, du ministère de l’Environnement de SAMOA, représentante du groupe de négociation de l’Alliance des petits États insulaires en développement à la Convention Cadre des Nations Unies sur le changement climatique.

Anne Rasmussen, réprésentante des îles SAMOA et du groupe AOSIS


Quelques minutes plus tôt, en effet, à 8 h 13, heure locale, environ trois minutes après l’ouverture de la séance plénière , le président de la COP 28, sultan Al Jaber, appelle à l’approbation du texte par les Parties.  « J’invite la CMA à adopter le bilan mondial […] Il n’y a pas d’objection, c’est ainsi décidé», dit-il. Les Parties adoptent de fait officiellement le texte publié quelques heures plus tôt sur le site de la Convention . Une série d’applaudissements s’en suit. « Bien que nous n’ayons pas complètement tourné la page sur l’ère des combustibles fossiles à Dubaï, c’est clairement le début de la fin », déclare après l’adoption, le Secrétaire exécutif de l’ONU pour le changement climatique, Simon Stiell. Il s’agit du premier bilan mondial publié depuis l’adoption de l’accord de Paris en 2015.

Simon Stiel, Secrétaire Exécutif de la Convention Cadre des Nations Unies sur le changement climatique-@eraenvironnement

Où était l’Alliance des Petits Etats Insulaires en Développement ( AOSIS) ?

« Nous travaillions dur pour coordonner les 39 petits États insulaires en développement qui sont touchés de manière disproportionnée par le changement climatique et nous avons donc été retardés », signale Anne Rasmussen, représentante des îles SAMOA, répondant au nom du groupe des Petits Etats Insulaires en Développement.

Avant de donner la parole à la représentante de l’AOSIS, le président de la COP28, Sultan Al Jaber, a fait entériner les principales actions rapidement conclues un peu plus tôt en plénière, à savoir le bilan mondial, l’objectif global sur l’adaptation, le plan de travail sur la transition juste, l’atténuation, l’opérationnalisation du fonds pour les pertes et dommages, et le processus d’intégration des jeunes dans la Convention Cadre de Nations Unies sur le Changement Climatique. Il les a défini comme un consensus.

« Nous parlons des combustibles fossiles dans notre accord final, pour la toute première fois », relève le président de la COP28 après l’adoption du premier bilan mondial. Cette déclaration a reçu 20 secondes d’applaudissements. Mais ce texte ne convient pas à l’Alliance des Petits Etats Insulaires en Développement, d’autres pays émettent des réserves. Alors pourquoi ont-ils approuvé la décision prise par la présidence de la conférence des Parties ?

Susana Muhamad, Ministre de l’environnement de la Colombie

Susana Muhamad, ministre de l’environnement de la Colombie donne son avis sur la question en plénière. « Le texte reflète la réalité politique de cette plénière : le Président Pedro définit la lutte de ce siècle comme une lutte entre le capital des énergies fossiles et la vie », rapporte-t-elle. Pour la ministre française de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, l’accord adopté à Dubaï est l’aboutissement d’un processus. « C’est une victoire du multilatéralisme, une victoire pour le climat, 8 ans après l’accord de Paris », déclare-t-elle en salle plénière. Et d’ajouter: « C’est un résultat sans précédent qui envoie un signal fort à l’ensemble des acteurs et aux marchés ». Pendant la COP 28, plusieurs acteurs de la société civile se sont soulevés contre le marché du carbone. Le lancement d’une étude indépendante d’évaluation sur l’action climatique par les taxes carbones a été annoncé par la Colombie, le Kenya et la France, lors d’une conférence de presse à la fin de la COP. Cet accord, poursuit la ministre française, « reprend la conclusion du pacte de Paris pour les peuples et la planète sur les financements innovants y compris les taxations ».

Pour le groupe des Petits Insulaires en Développement et pour plusieurs pays en développement, la compréhension de l’accord est différente. Concernant le bilan mondial, « Le paragraphe sur l’abattement  peut être perçu d’une manière à permettre une expansion supplémentaire ( des énergies fossiles). L’élimination progressive des subventions « inefficaces » aux combustibles fossiles est problématique, créant des échappatoires qui n’existaient pas auparavant. Nous voyons un recul avec l’inclusion de la pauvreté énergétique « , explique la déléguée des SAMOA, dans une déclaration qui devait être lue avant la prise de décision commune. Et de poursuivre:  » Le terme « Inefficaces » est un problème pour nous et l’inclusion des « combustibles de transition » est également très problématique ».

Tout au long des pourparlers de l’ONU sur le climat, Al Jaber a été fortement critiqué par la presse internationale et la société civile pour ses déclarations sur la science dans un webinaire en novembre, mais aussi pour ses activités professionnelles dans le domaine pétrolier. Lors d’une conférence impromptue début décembre, il a même nié ses paroles et s’est justifié en soulignant sa croyance en la science.

Anne Rasmussen du Ministère de l’environnement des SAMOA

« L’AOSIS est venue à cette COP avec l’objectif de s’assurer que les 1.5C soient sauvegardés de manière significative », rappelle Rasmussen. Et d’ ajouter : « Nos ministres et nos dirigeants ont été clairs, nous ne pouvons pas rentrer chez nous avec un message qui nous met en échec ».

L’Alliance des petits États insulaires en développement salue dans le « projet de texte », adopté par tous sans eux, « de fortes références à la science, et divers éléments de soutien pour passer de ce bilan mondial au prochain bilan», mais pour ce groupe de négociation, ce texte ne permet pas l’équilibre de corriger la courbe du changement climatique. Ils font référence en particulier à un paragraphe sur l’atténuation des progrès collectifs vers la réalisation des objectifs à long terme de l’Accord de Paris. « Les alinéas 28e) et h) nous font reculer plutôt que d’avancer, » déclare Rasmussen, se référant à l’utilisation du captage et du stockage du carbone. Elle soulève également les questions relatives à la feuille de route pour 2025. « Au paragraphe 26, nous ne voyons pas d’engagement ni même d’invitation pour les Parties à atteindre des pics d’émissions d’ici 2025 ». Après la lecture de la déclaration de l’AOSIS, Rasmussen a reçu une ovation debout de toute la plénière.

Que retenir de l’accord ?

L’accord de Dubaï indique un triplement de la capacité mondiale d’énergie renouvelable et un doublement du taux annuel moyen mondial d’amélioration de l’efficacité énergétique d’ici 2030. Il mentionne également l’abandon des combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques « d’une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l’action au cours de cette décennie critique, afin d’atteindre la neutralité carbone, d’ici 2050, conformément à la science et en préconisant également l’accélération de l’objectif zéro, les technologies d’émission et à faibles émissions, y compris, entre autres, les énergies renouvelables, le nucléaire, les technologies de réduction et d’élimination, telles que le captage, l’utilisation et le stockage du carbone, en particulier dans les secteurs difficiles à éliminer, et la production d’hydrogène à faible teneur en carbone ». Pour les observateurs, ces éléments posent question. L’échéance de neutralité carbone difficilement atteignable, selon des délégations et des observateurs.

« Après trente ans de négociations sur le climat, nous sommes enfin sortis ce matin à Dubaï des COP fossilisées empêtrées dans le tabou des combustibles fossiles et complètement noyées dans leur dépendance au pétrole, au gaz et au charbon: l’accord adopté ce matin marque enfin un tournant qui marque un moment, une étape importante en appelant pour la première fois, les pays à se détourner des énergies fossiles, c’est une étape à saluer, mais il faudra aller plus loin », fait remarquer Arnaud Gilles du Fonds Mondial pour la Nature (WWF) France. Il s’inquiète aussi de l’’utilisation de « supercheries climatiques » dans l’accord qui, selon lui, ont été introduites dans l’accord par un lobby fossile de plusieurs pays. « L’accord de Dubaï prévoit de nombreuses infractions réglementaires, comme l’utilisation de technologies de stockage du carbone, mais aussi ce qu’on appelle l’énergie à faible émission de carbone, mais ce qui cache évidemment le gaz fossile, qui n’est absolument pas une transition, et qui n’a rien à voir avec une feuille de route pour lutter contre le changement climatique », a-souligne-t-il. Pour Mohamed Adow, Directeur du centre d’analyse PowerShift Africa, basé au Kenya, le financement de l’action climatique reste problématique. « « Le texte appelle à une transition vers l’abandon des combustibles fossiles au cours de cette décennie cruciale, mais la transition n’est ni financée ni équitable », affirme-t-il. Et de poursuivre: « «  Actuellement, les pays riches dont les émissions ont créé la crise refusent de payer leur dette climatique et font en sorte que certains des plus pauvres du monde se débrouillent seuls ». Pour Maria Laura Rojas Valleja, de l’institut Transforma en Colombie, des progrès ont été réalisés pour porter la dimension de l’adaptation à un niveau sectoriel jamais vu auparavant, pour la santé, l’eau et les systèmes alimentaires ainsi que le lancement du Fonds pour pertes et dommages. Mais des questions demeurent. « Il y a toujours le sentiment désagréable que la prise de décision de dernière minute n’est pas très transparente et que les intérêts des plus vulnérables, aux responsabilités moindres, finissent par ne pas être pris en compte », explique-t-elle. Les prochaines échéances seront à Bakou en Azerbaïdjan pour la COP 29 en 2024 et à Bélem au Brésil pour la COP 30 en 2025. « La prochaine grande bataille ne sera rien de moins que celle de la finance, à la COP29 et en gardant vivant l’espoir et l’objectif de 1,5ºC à la COP30 », conclut-elle.

Par Houmi Ahamed-Mikidache

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