COP 28 : À quoi s’attendre des négociations de l’ONU sur le climat

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Par Houmi Ahamed-Mikidache

La 28ème conférence des Nations Unes sur le changement climatique s’annonce houleuse. Les enjeux sont énormes. Les Contributions nationales déterminées volontaires, présentées initialement, lors de l’accord de Paris, à la COP 21 (2015) et devant être révisées tous les cinq ans ne sont pas au niveau des 1,5 degrès requis par la science. Pour Nnimmo Bassey, directeur de Health of Mother Hearth ( HOMEF) , une Organisation non gouvernementale basée au Nigeria, « l’adoption d’une voie volontaire de réduction des émissions est une subversion directe de la science du climat et de la justice ». Et de poursuivre:  » La logique de la science a été utilisée pour montrer le bilan carbone ainsi que la trajectoire de hausse des températures. Cependant, l’illogisme de la géopolitique a vu des pays puissants revenir sur leurs engagements et leurs actions graves. On peut donc s’attendre à ce que l’écart entre l’équité et la juste part se creuse de jour en jour », déplore-t-il sur son site internet. La COP 28 est organisée cette année dans un pays producteur de pétrole. Le président de la COP dirige la plus grande compagnie pétrolière de son pays. Mais selon un communiqué reçu par Era Environnement hier, « il a accepté de quitter son poste de PDG d’ADNOC ». Pour Bassey, la situation sera la même.  » Cela ne changera pas son approche nationale en matière d’action climatique », précise l’activiste.

Le Bilan mondial au centre des négociations

Le bilan mondial fera l’objet de débats pendant les deux semaines de négociations. Le bilan mondial doit être présenté tous les 5 ans avec la révision des contributions déterminées au niveau national. A Dubaï, il sera au centre des préoccupations Le sommet de la COP28 , aux Émirats arabes unis, se concentrera sur la façon dont les pays s’appuient sur les conclusions du Rapport d’inventaire mondial, une évaluation globale dont l’objectif est de limiter la hausse des températures à 1,5 degrés Celsius, et de faire face aux impacts du changement climatique. Le résultat négocié du Bilan Mondial couvrira tous les aspects des négociations, y compris les contributions déterminées au niveau national (NDCs ), le financement climatique, les pertes et dommages, l’énergie, la nature, l’adaptation et les parties prenantes non parties.

Les couloirs de la COP28-@eraenvironnement

Le sixième rapport de synthèse d’évaluation du GIEC a souligné la nécessité d’une élimination rapide des combustibles fossiles pour atteindre 1,5c avant la fin du siècle. Les organisations de la société civile demandent un accord à ce sujet. L’Union Européenne est favorable à un accord sur l’élimination progressive des combustibles fossiles, l’Inde a fait marche arrière par rapport à sa position à la COP27 et la Chine a déclaré qu’il était irréaliste. Les membres de la Coalition Haute Ambition, dont le Danemark, le Chili, l’UE, l’Espagne et les Îles Marshall, sont également favorables.

Délégués- Plénière COP28-@eraenvironnement

Les organisations non gouvernementales demandent une limitation des émission de CO2 à 1,5 degrès et une sortie immédiate des énergies fossiles. Même si elles sont conscientes que les représentants des énergies fossiles font pression sur les négociations.

L’opérationnalisation du fonds pour pertes et dommages

COP 28-L’envoyé spécial du président des États-Unis pour le climat John Kerry@eraenvironnement

La Chine, champion de la production d’énergie renouvelable et décrite comme l’un des principaux pollueurs de la planète avec les Etats-Unis. Ces deux pays seront au cœur de l’attention. Les pays émergents et du moyen orient seront aussi dans le viseur des observateurs. La Chine est membre du Groupe 77, un groupe représentant les pays du Sud Global. Le positionnement de ce groupe de négociateurs ainsi que celui des négociateurs des pays les moins avancés, de l’Afrique et des petits insulaires en développement fera aussi l’objet d’une attention particulière. Pour Fadhel Kaboub, conseiller spécial du Think Thank Power Shift Africa, l’unité de ces différents groupes doit permettre d’atteindre un résultat ambitieux, comme l’adoption de la création du fonds pour les pertes et dommages, une adoption acquise à la dernière minute l’année dernière lors de la COP27, par le biais d’une action concertée des différents groupes du Sud Global . Mais le chemin est encore long, les pays du sud global doivent être prudents, souligne-t-il. Kaboub apporte ses solutions sur Your Voice, en proposant l’annulation de la dette des pays du sud et la mise en place de dons pour faciliter les projets liés à l’accès aux énergies renouvelables. D’après certains experts, un résultat ambitieux impliquerait que les pays acceptent d’atteindre des objectifs de pourcentage pour la réduction de l’offre et de la demande de pétrole et de gaz, avec une réduction minimale de 15 % d’ici 2030 et une réduction de 65 % d’ici 2050, ainsi que des engagements à mettre fin à la nouvelle production, à l’exploration et aux subventions.

Des annonces sur le financement des énergies renouvelables à l’échelle mondiale devraient avoir lieu pendant la COP. La COP28 devrait convenir d’un objectif mondial d’adaptation et d’un processus pour accepter de nouveaux objectifs de financement à l’horizon 2030 qui pourraient débloquer sur plus de soutien et de financement pour l’alimentation et l’agriculture. Mais, les négociations fragmentées en plusieurs thématiques et défendues en groupes de négociations seront remplacées par les intérêts individuels au détriment des populations, souligne la société civile. Dans un contexte de crises économiques et de lourdes dettes, les pays du Sud Global feront l’objet d’une observation concertée de la société civile, notamment sur la question du marché du carbone. Les négociations sur le marché du carbone devraient se poursuivre au titre de l’article 6 de l’accord de Paris, dans le contexte des préoccupations suscitées par les accords conclus entre une entreprise émiratie et plusieurs pays africains . D’après les experts, les accords conclus avec les Émirats arabes unis pourraient leur permettre de prendre le contrôle de la masse terrestre africaine de la taille du Royaume-Uni, mais si les règles du marché se resserrent et que des acteurs comme le Brésil insistent sur la nécessité d’autres moyens de payer pour la nature, la donne pourrait changer.

Les progrès en matière de financement climat?

Le déficit de financement climatique et les discussions en cours sur la réforme des institutions financières multilatérales devraient rester une priorité. La question à poser serait peut-être de voir concrètement quelles sont les retombées du nouveau pacte financier mondial conclut à Paris, même si dernier n’entre pas dans les négociations? Comment intégrer la question du financement des Partenariats Justes de Transition énergétique?

Autre point, selon la dernière publication de l’OCDE, l’objectif de 100 milliards de dollars promis en 2009 devrait être atteint en 2022, mais aucune donnée publique ne le montre, rappellent les observateurs. Des appels sont lancés pour une transparence accrue afin d’éviter un retard dans les rapports. Le Rapport 2023 du Programme des Nations Unies sur l’Environnement,  sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, examine les progrès réalisés dans la planification, le financement et la mise en œuvre des mesures d’adaptation et constate que les besoins de financement de l’adaptation des pays en développement sont 10 à 18 fois plus importants que les flux internationaux de financement public. C’est plus de 50 % plus élevé que l’estimation précédente, indique les experts. Les coûts modélisés de l’adaptation dans les pays en développement sont estimés à 215 milliards de dollars par an cette décennie. Le financement de l’adaptation nécessaire à la mise en œuvre des priorités nationales d’adaptation est estimé à 387 milliards de dollars par an.

Les observateurs surveilleront les promesses de dons au Fonds vert pour le climat. L’Australie, l’Italie, la Suède, la Suisse et les États-Unis ont annoncé leur intention de faire également des promesses de dons à la deuxième reconstitution de ce fonds, qui a reçu jusqu’à présent 9,3 milliards de dollars de 25 pays. Des pressions s’exercent également sur les États du Golfe, y compris l’hôte de la COP 28, les Émirats arabes unis, pour qu’ils deviennent des contributeurs. Les organisations de la société civile demandent une taxe sur les combustibles fossiles pour payer les pertes et les dommages. Un rapport récent du réseau international d’organisations de la société civile, Climate Action Network (CAN), estime qu’une redevance d’extraction de combustibles fossiles pourrait lever 210 milliards de dollars. La question du siège du fonds pour les pertes et dommages fait débat au sein des négociations depuis l’adoption de ce fonds. Les Etats-Unis, souligne Fadhel Kaboub, sur Your Voice, font fait pression pour ce que fonds soit situé au sein de la Banque de mondiale. Mais pour l’expert, c’est une aberration. « Les frais annuels pour accueillir le fonds par la Banque mondiale seraient de 240 milliards de dollars, seulement pour les frais. Il n’y a pas de fonds possédant 250 milliards de dollars! » s’exclame-t-il sur Your Voice. La question des contributeurs sera aussi au centre des négociations. Qui financera ce fonds? Quelles seront les modalités d’accès?

Lors du Sommet des chefs d’Etat, la France et le Kenya devraient lancer un groupe de travail sur les sources de financement innovantes. Le rapport du PNUE identifie également sept moyens d’accroître le financement, notamment par le biais des dépenses nationales et du financement international et privé. Parmi les autres possibilités, les envois de fonds de la diaspora, l’augmentation et l’adaptation du financement aux petites et moyennes entreprises et une réforme de l’architecture financière mondiale. Le nouveau fonds pour pertes et dommages devra également évoluer vers des mécanismes de financement plus innovants pour atteindre l’ampleur nécessaire des investissements, selon le rapport.

« Compte tenu de l’énorme besoin de financement, je pense que nous aurons besoin de toutes les solutions possibles. Un financement innovant, comme une redevance sur les vols, est probablement l’un des plus réalistes à court terme. Les envois de fonds contribuent déjà à l’adaptation, car les familles utilisent ces fonds pour améliorer leur propre résilience », explique à Era Environnement Mathias Söderberg, Co-président du groupe Changement Climatique de l’Organisation Non gouvernementale Act Alliance.

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