COP 23: Commission Sahel- » Nous partageons les mêmes défis »- Issifi Boureima
En marge des travaux de la 23ème Conférence des Nations Unies sur les Changements Climatiques, Issifi Boureima, le conseiller technique du président du Niger en charge du Climat, et président du groupe de travail conjoint des experts pour la Commission Climat pour la région du Sahel se confie à Era Environnement, dans un entretien fleuve, sur les enjeux de la Commission Sahel et ses solutions pour le développement de l’Afrique. Interview.
Propos recueillis par Houmi Ahamed-Mikidache
Era Environnement: La Commission Sahel a été annoncée en marge de la COP 22, un an après cette annonce, quelles sont les actions entreprises et quel bilan faîtes-vous de vos actions ?
Issifi Boureima: La commission a été effectivement lancée en marge de la COP 22, lors du Sommet de Haut Niveau organisé par le roi du Maroc. Pendant ce sommet une décision importante a été prise: la création de trois commissions dont la Commission Sahel présidée par le Niger, la Commission du bassin du Congo, dirigée par la présidence de la République du Congo et la Commission des Petits Etats Insulaires en Développement dont la présidence est tenue par le Seychelles. Depuis la COP 22, la Commission Sahel a mis en place une équipe d’experts autour du ministre de l’environnement de notre pays. Après cette action nationale, un certain nombre de documents ont été préparés et envoyés aux différents pays des trois Commissions. Pour la Commission Sahel, notre premier travail consistait donc à à identifier les pays membres de cette Commission. Sur le plan climatique, le sahel se définit par le principal indicateur qui est la isohyète (la courbe joignant les points recevant la même quantité de précipitations) et se caractérise par une pluviométrie allant de 150 millimètres à 600 millimètres. Nous avons ainsi défini un espace allant de la Gambie à la corne de l’Afrique. La commission Sahel est composée par 17 pays dont l’Ethiopie, l’Erythrée, Djibouti et aussi le Cap vert qui se retrouve également dans la Commission des Petits Etats Insulaires en Développement. Le Cap Vert est en fait le 18 ème pays. Nous avons aussi intégré le Cameroun : sa pointe nord est au Sahel et il y a certains défis que nous partageons avec ce pays notamment la sauvegarde du bassin du lac Tchad. Nous voulons créer de bonnes conditions de travail à travers la synergie entre les trois commissions. Le Cap vert et le Cameroun sont les pays qui peuvent faire l’interface entre les différentes Commissions.
La Commission Sahel est-elle donc opérationnelle ?
Pour le moment, nous sommes en phase de préparation. Nous avons préparé deux documents importants sous forme de note conceptuelle présentant un processus d’opérationnalisation de la Commission. Ces documents que nous avons préparés sont relatifs à une étude portant sur l’élaboration d’un plan climatique. Ce dernier fera l’objet d’une table ronde pour discuter de financement. Nous avons partagé ce projet de note conceptuelle avec les 17 pays* qui forment la Commission du Sahel, répartis dans trois zones géographiques: l’Afrique de l’Ouest, l’Afrique de l’Est et l’Afrique Centrale.
Le 22 et le 23 Mai dernier, vous avez organisé une réunion d’experts. Que ressort-il de cette réunion ?
Cette réunion a officialisé de façon formelle l’établissement d’un groupe conjoint d’experts. Son objectif : appuyer le segment ministériel et la conférence des chefs d’Etat, et suivre l’élaboration du plan d’investissement climatique ainsi que la mise en œuvre des différentes stratégies. Avec l’appui de la Banque Africaine de Développement, que nous remercions au passage, nous avons lancé un appel à candidature pour recrutement de consultants internationaux pour l’élaboration du plan d’investissement climatique.
En quoi consiste ce plan d’investissement climatique ?
Le plan d’Investissement climatique se base sur une réflexion sur le rôle des trois commissions. Ces dernières ne viennent pas réinventer la roue : elles n’ont pas été mises en place pour innover. Mais, ce sont des commissions mises en place pour, coordonner toutes les initiatives en cours en Afrique et celles qui peuvent être intégrées dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord de Paris. Ce plan va nous permettre de faire l’inventaire de toutes les initiatives en cours au niveau pays, au niveau de la sous région et au niveau régional. Cela va nous permettre de faire ressortir les programmes et investissements déjà réalisés. Nous pourrons ainsi comprendre quels sont les différents gaps et initiatives, les engagements qui ont été pris, le niveau de mobilisation, et faire en sorte qu’on ait une cartographie complète permettant la réalisation d’une réunion de financement autour d’une table ronde, qui permettrait que toutes ces initiatives ne soient pas oubliées.
Vous recherchez donc des consultants internationaux, quel sera leur rôle ?
Ces consultants auront pour mission de nous livrer, par le biais d’un cahier des charges pré-établi, un certain nombre de produits. Mais, en premier lieu, ils seront amenés à faire l’inventaire des projets mis en œuvre dans le cadre de la résilience climatique, dans la région sahel. Ils seront appelés aussi à faire une analyse de nos différents contributions nationales déterminées dans le sahel. Mais nous travaillons aussi avec des experts nationaux.
A ce propos, ces Contributions Nationales ont été élaborées rapidement, selon la société civile et selon certains négociateurs africains, sans une réelle maîtrise des enjeux par les experts internationaux. Aujourd’hui, quelle stratégie adoptez-vous pour leur mise en œuvre?
Je souhaite avant tout rappeler le contexte de l’élaboration des Contributions Prévues Déterminées Nationales ( CPDN). L’Afrique n’est pas la seule dans ce cas. En amont de la COP 21, tous les pays devaient soumettre leur CPDN à la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques. Il y avait donc une urgence. Il est vrai que nos pays, à défaut de ressources propres, ont fait appel à des appuis extérieurs. Mais, tout n’était pas mauvais, il faut le reconnaître. Il y a des aspects positifs dans ces CPDN. Aussi, nous allons faire en sorte, par les révisions, de renforcer notre Contribution Nationale en tenant compte de nos aspirations nationales. Toutefois, je tiens à souligner que les acteurs de la société civile nigérienne ont été impliqués dans l’élaboration des CPDN. Nous sommes d’ailleurs disposés à réévaluer certains aspects, notamment sur l’évaluation de certains paramètres et au moment voulu, nous ferons le nécessaire pour en discuter.
A quelques jours de la fin de la COP 23, quelles sont les attentes de la Commission Sahel et du Niger pour cette Conférence sur le Climat ?
Merci d’orienter vos questions vers un éclaircissement des mécanismes de mise en œuvre de l’Accord de Paris. Le Niger est membre d’un certain nombre de groupes de négociations, le groupe africain, le G77 et la Chine, et le groupe des Pays les Moins Avancés: nous restons solidaires aux positions de ces différents groupes. Ces groupes souhaitent obtenir un éclaircissement sur la place accordée à l’adaptation au niveau de la finance climatique : nous entendons d’ici Varsovie qu’un mécanisme clair puisse être défini pour la question du transfert des technologies, de la transparence des financements, la souplesse d’accès au financement du fonds vert des Nations Unies pour le Climat. Nous voulons aussi que les pays développés acceptent que le fonds d’adaptation soit reconnu et accepté comme un mécanisme de la finance climatique et serve l’accord de Paris. Dans la finance climatique, il y a des enjeux globaux et des enjeux spécifiques. Le Niger étant un pays du Sahel, aujourd’hui, nous avons des problèmes de migration et des problèmes de sécurité. Ce sont des éléments que nous ne pouvons pas dissocier des problèmes climatiques. Nos populations sont déjà confrontées à des problèmes qui sont liées à leurs conditions de vie: nos terres se dégradent davantage et nos ressources naturelles se rétrécissent et sont liés aux dérèglements climatiques. Des événements nouveaux apparaissent comme l’insécurité et toutes ces actions conjuguées poussent nos populations à être vulnérables et à quitter le pays pour l’Europe. Nous aimerions que les enjeux sécuritaires et de migration soient pris en compte dans les défis climatiques. Les conflits entre population liés aux migrations, conséquences des changements climatiques poussent le Niger à plaider pour que les enjeux sécuritaires et de migrations soient aux cœurs des questions de développement.
Vous avez remercié la Banque Africaine de Développement de l’appui accordé par cette institution, est-ce qu’elle vous soutient dans le cadre de l’accès aux métiers verts pour les jeunes ?
La Banque Africaine de Développement (BAD) fait partie de nos partenaires multilatéraux, traditionnels, au-delà même du processus de cette Commission. La Banque Africaine de Développement intervient au Niger dans la résilience climatique et à l’accès aux emplois verts. Dans le cadre de la rétention des jeunes au Niger, il faut occuper les jeunes instruits ou pas instruits. Le Niger intègre dans sa gouvernance les préoccupations des jeunes. Le Niger est la terre d’accueil du Forum Jeunesse Emplois Verts, qui finance les projets des jeunes avec le soutien de la Banque Africaine de Développement et d’autres organismes internationaux. Cette année, ce forum sera organisé conjointement avec une conférence internationale sur la désertification et les questions d’économie verte. Cet événement sera organisé conjointement avec le gouvernement du Niger et l’Organisation de la Francophonie, dans le souci de créer des conditions de mobilisation des ressources pour l’accès à l’économie verte.
Comment la commission Sahel, présidée par un pays francophone travaille avec les autres pays notamment anglophones ?
On travaille en synergie. Parmi les pays de la Commission Sahel, il y a certes des pays anglophones : la Gambie, le Nigeria et l’Ethiopie notamment. Mais, il est vrai qu’on partage la même culture, les mêmes populations notamment avec le Nigeria et au-delà, nous partageons les mêmes défis sociologiques, environnementaux, politiques qui font que nous sommes obligés de travailler ensemble.
*Les 17 pays à l’origine qui sont le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, Djibouti, Erythrée, Ethiopie,Gambie, Guinée, Mali, Mauritanie, Niger,Nigeria, Tchad, Sénégal, Soudan. Le Cap est arrivé par la suite