COP 22- Droit de l’environnement en Afrique : Etat des Lieux
Quelques mois avant la COP 22, une centaine d’experts francophones se sont retrouvés à Rabat pour échanger sur la problématique environnementale et le rôle du droit dans le développement de l’Afrique.Explication.
Par Houmi Ahamed-Mikidache
Le second colloque francophone du droit de l’environnement en Afrique récemment organisé à Rabat* a permis d’identifier les problématiques liées à la gouvernance climatique post 2015, mais il a aussi apporté des solutions notamment celles liées à la mise en œuvre des Objectifs du développement durable.
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Qu’est-ce que le droit de l’environnement ?
Le droit de l’environnement est reconnu formellement par l’article 24 de la charte Africaine des droits des peuples. Adoptée en en 1981, cette charte affirme que « tous les peuples ont droit à un environnement satisfaisant et global, propice à leur développement ». Pour le professeur Ibrahima Ly, Directeur du Laboratoire de droit de l’environnement et de la santé à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar ( Sénégal), « tous les éléments constitutifs permettent d’affirmer l’existence du droit de l’environnement en Afrique. Mais c’est la mise en œuvre des lois, des règlements, des décisions rendues par les juges ainsi que le fonctionnement des institutions et la gouvernance au sens large qui forment les obstacles ». D’après le professeur Ly, pour mettre en œuvre le droit, il faut une volonté politique de tous les acteurs, l’Etat, mais aussi l’ensemble des personnes concernées. Des conditions minimales d’accès à l’information plurielle doivent être mises à la disposition des minorités, précise celui qui est aussi. Les personnes défavorisées doivent avoir accès à la traduction en langues locales des lois et il ne doit pas y avoir de pressions familiales pour freiner les recours. Autre points : la rémunération des avocats. Pour l’enseignant sénégalais, des systèmes parallèles de médiation (liés à la tradition) doivent être mis en place pour pallier aux problèmes de ressources financières ne permettant pas de faire appel à un avocat en cas de litige.
Quel sont les mécanismes novateurs ?
- L’un des mécanismes novateurs de la gouvernance climatique post 2015 est l’association entre les objectifs du développement durable et l’accord de Paris. Cette convergence des enjeux est mise en place dans trois villes, rappelle le professeur de droit Ali Mekhouar, à l’Université de Casablanca : New York pour les Objectifs du Développement Durable ( avec le programme de développement durable à l’horizon 2030), Paris pour l’adoption de l’Accord de Paris et Marrakech pour la mise en œuvre du texte de Paris. Cette convergence, selon le professeur Mekhouar, permet d’analyser entre autres l’interrelation entre le financement de l’adaptation et les politiques de développement. Mais, l’aide au développement ne devrait pas être liée au financement de l’adaptation, selon le groupe des négociateurs africains qui souligne la responsabilité historique des pays en développement pour le financement des actions climatiques d’adaptation et d’atténuation. 100 milliards de dollars par an devraient être disponibles à partir de 2020, et une partie devrait passer par le fonds vert de l’ONU qui a ce jour ne dispose que de 10 milliards de dollars. Le financement des ODD pose aussi question, sur les 3 à 6 milliards de dollars nécessaires à leur mise en œuvre, seuls 1,6 milliard sont disponibles actuellement.
- Au niveau des Objectifs du Développement Durable (ODD) et de l’Accord de Paris, il y a la reconnaissance des Responsabilités Communes mais Différenciées. Comparaison n’est pas raison. Les ODD, souligne M. Mekhouar, sont non contraignants et n’engagent pas la responsabilité des pays. Par contre l’Accord de Paris est un « traité avec des normes obligatoires imposés aux Etats. ». Concrètement, les Objectifs du développement durable sont opérationnels depuis le 1er janvier 2016. Mais l’accord de Paris, adopté en France, signé à New York n’est ratifié que par 23 pays, dont cinq pays. Il n’entrera en vigueur que quand 55 États représentant 55 % des émissions de GES auront ratifié le texte.
- . Droit à l’ Eau et l’ Assainissement
Elément incontournable de développement, grande absente de l’accord de Paris, l’eau a fait l’objet de vives discussions à Rabat lors du colloque sur le droit de l’environnement. L’eau est un sujet récurrent au royaume chérifien. Le Maroc, victime de sécheresse accrue a co-organisé avec la France et le Conseil Mondial de l’eau, le 11et 12 juillet dernier une Conférence Internationale « Eau et Climat, intitulée : « Sécurité hydrique pour une justice climatique ». Cet événement visait à sensibiliser les décideurs pour que l’eau soit incluse dans les prochaines négociations à Marrakech. En Afrique, il existe trois chartes de l’eau : la Charte de l’eau du fleuve Sénégal, la charte de l’eau du bassin du Niger et la Charte de l’eau du bassin du lac Tchad. D’autres chartes sont en cours d’élaboration, notamment celle du Congo et du Volta. Pour Hamidou Garane, Professeur de droit au Burkina Faso, les chartes de l’eau se définissent en se basant sur les conventions nationales. « Quand on parle de droit à l’eau, on parle de disponibilité quantitative, qualitative ( eau salubre), de disponibilité économique ( 5% du revenu familial), » affirme-t-il. Les Chartes de l’eau, fait-il remarquer, sont des protocoles et vont de paire avec la gestion des ressources en eau (GIRE) dans chaque pays. Pour M. Garane, les Chartes de l’eau constituent des instruments de mise en œuvre des Objectif du Développement Durable. Mais « il faut qu’une partie des ressources financières soit allouée à la mise en application des Objectif du Développement Durable, » indique-t-il, en faisant référence au contenu de l’Objectif 6 des ODD qui garantit l’accès à l’eau et à l’assainissement.
Discutés et analysés pendant deux semaines à Paris au mois de décembre dernier, les droits humains, retirés à la dernière minute de l’accord de Paris comportent de nombreux éléments. Mais que représentent-ils ? Dans les droits humains, il y a l’égalité de genre, la sécurité alimentaire, les droits des peuples autochtones et l’équité entre génération, rappelle Sena Alouka de l’ONG togolaise JVE . Pour le professeur professeur Michel Prieur, ancien doyen de la faculté de droit et sciences économiques de Limoges, « on ne peut pas reconnaître l’environnement sans l’accès à la justice ». Les juges, selon lui doivent appliquer le principe de non régression, c’est-à-dire qu’un Etat ne devrait pas revenir sur sa décision, notamment sur la ratification d’un accord. Selon lui, il est important de compléter les droits de l’homme 1948 avec les droits de l’humanité. Une déclaration universelle des droits de l’humanité, initiative française menée par le Président François Hollande a été transmise au secrétaire générale de l’ONU, Ban Ki Moon le 28 avril pour une éventuelle adoption d’une loi en 2018. Mais rien n’est certain. Sena Alouka, qui représente aussi l’ONG Réseau Climat et Développement, fait remarquer que les droits humains sont intégrés dans le préambule de l’accord de Paris, mais il y a une nécessité de les inclure dans les engagements des Etats et des Entreprises, dans l’adaptation, les forêts, l’agriculture, et l’accès aux énergies renouvelables en Afrique. M. Alouka fait savoir que seuls 20 états ont intégré les droits humains dans les contributions nationales( les plans d’action nationaux) présentées en amont de la COP 21. Pour la COP 22, le Réseau Climat et Développement énonce plusieurs priorités : inclure les droits humains dans les décisions de développement citées ci-dessus, obtenir un rendez-vous avec la présidence de la COP 22 pour énoncer ces doléances, inclure les droits humains dans les plans d’action nationaux, organiser le suivi des actions des Etats par la société civile et diffuser une fiche de bonne pratique.
- Colloque organisé par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature et l’Institut de la Francophonie pour le Développement Durable, en partenariat avec le Royaume du Maroc