Après le marathon des négociations de Lima, les représentants africains ont intégré que la suite ne sera pas de tout repos pour le continent.
Expérimentés et mieux formés ces dernières années, les négociateurs africains, présents depuis deux semaines à Lima, au Pérou, se sont préparés aux longues heures intenses de négociations. Les conférence de l’ONU sur le climat sont connues pour leurs prolongations. « On est là jusqu’à lundi », a déclaré, vendredi après-midi à 16 heures, heure de Lima, Seyni Nafo, 34 ans, expert malien et porte-parole du groupe Afrique dans les négociations internationales sur le changement climatique. Et cet expert spécialiste du climat depuis quelques années d’ajouter : « Notre travail consiste à continuer à proposer, jusqu’à la fin, des options techniques à nos ministres. On a élaboré des textes, des éléments de langage qui permettent aux ministres de ne pas se retrouver dans la situation où ils n’ont plus de proposition », affirme-t-il fièrement.
À Lima, le groupe Afrique est soutenu par la société civile africaine, ainsi que par d’autres ONG et aussi des délégations. Pendant deux semaines, sous le regard de 195 nations au total, la société civile a marqué sa présence dans la capitale péruvienne. La société civile africaine, elle, dirigée par le Réseau panafricain pour la justice climatique (PACJA) , a tenu des réunions stratégiques tous les matins pour définir les activités des militants. Des événements parallèles (Side events), des réunions matinales (morning strategy) et des entretiens, ont eu lieu quotidiennement par Internet ( les réseaux sociaux..) et en direct. Dès les premiers jours, les militants ont rencontré le président du groupe Afrique, le soudanais, Nagmeldin El Hassan. Ils se sont ensuite liés à ce groupe. Vendredi, pour marquer leur soutien aux délégations du Sud , la société civile africaine, et d’autres ONG locales et internationales ont simulé une mort collective, « a mass-die ». Une référence à l’échec éventuel des négociations et à la mort de la planète si rien n’est entrepris.
Une responsabilité partagée non acceptée
Une responsabilité partagée non acceptée
« On attend des pays développés qu’ils prennent les devants en termes d’ambition de mobilisation des ressources financière », souligne M. Nafo. Et cet expert malien, qui est aussi chargé de la coordination des actions d’atténuation pour la période post 2020 du groupe Afrique, fait remarquer qu’il y a une certaine incohérence : « On ne peut pas demander aux pays en développement de contribuer, sans parler des autres éléments qui sont très importants. » Les mécanismes financiers doivent, selon lui, être transparents ainsi que les principes de la convention des Nations unies sur le changement climatique. « Les responsabilités communes et différenciées doivent être appliquées », souligne-t-il. Ces principes sont basés sur les responsabilités des pays, des pays industrialisés responsables historiquement du changement climatique.
Difficile d’évaluer le niveau de CO2 en Afrique
D’après les scientifiques, l’Afrique n’est pas historiquement responsable du changement climatique. Elle émet très peu de gaz à effet de serre. Difficile pour le continent d’évaluer le niveau actuel d’émissions de CO2 pour chaque pays et de poser les jalons d’une contribution avant juin 2015, la date butoir.Toutefois, un pays d’Afrique s’est récemment démarqué, la Namibie. C’est le premier pays du continent à avoir soumis un rapport sur les mesures d’atténuation et leurs effets. Pour le responsable en chef du service communication de la convention de l’ONU sur le climat, Nicholas Nuttal, la publication de ce rapport bi-annuel actualisé, par la Namibie, va permettre aux autres « pays du Sud » de s’en inspirer. » L’accès public à ce rapport pourrait aider d’autres pays en développement dans la préparation de leur analyse. Mais en même temps, les pays en développement ont leur propres propres situations nationales, et chaque rapport sera différent », précise M. Nuttal.
L’adaptation, une urgence
Pour M. Nafo, les mesures d’atténuation doivent être associées aux mesures d’adaptation, » pour nous, les pays africains, la question du financement de l’adaptation est urgente. L’Afrique doit faire face aux besoins immédiats », souligne-t-il. La publication du rapport bi-annuel sur les mesures d’atténuation ne doit aucunement entraver les besoins pour les mesures d’adaptation », soutient M. Nuttal. » L’adaptation revêt une haute importance pour les pays en développement. Ceci est particulièrement vrai pour les plus pauvres et les plus vulnérables, l’ Afrique y compris », explique-t-il. Pendant les négociations, l’Union européenne a refusé catégoriquement d’intégrer l’adaptation au sein des contributions nationales.
Le Fonds vert : la solution
Conscients des différentes barrières et défis existants, M. Nafo, au nom du groupe Afrique, ne souhaite pas que le Fonds vert soit comparé à l’aide au développement. « Depuis plus de 50 ans, les mêmes agences bilatérales sont présentes : il n’y a pas de renforcement des capacités des pays et on se retrouve dans des situations où on nous dit qu’il n’y a pas d’institution à même de gérer ces financements là », s’insurge M. Nafo.
Avec le Fonds vert, tout devrait changer. Il n’y aura pas de co-financement, ni d’intermédiaire, selon l’expert malien, ancien conseiller d’un des membres du groupe Afrique du comité de transition du Fonds vert. Institué par la convention de l’ONU sur le climat, ce comité de transition est à l’origine de la création du financement sur climat le plus important.
Ce dernier devrait permettre d’alimenter une partie des 100 milliards de dollars par an attendus à partir de 2020 pour aider les pays en développement à faire face au dérèglement climatique. Un premier versement « précoce » de 30 000 milliards de dollars devait être effectué entre 2010 et 2012, mais il n’en a rien été. À Marrakech, au mois d’octobre dernier, Charles Mulenga du Centre zambien du dialogue sur l’environnement et le changement climatique (CZDECC) s’était exprimé à ce sujet. « Les caisses du Fonds vert sont vides, mais un lobby autour de ce fond était en préparation. »
La capitalisation du Fonds vert
Effectivement, quelques mois après, à Lima, des promesses de don fusent de part et d’autres. 10 milliards de promesses de don ont été annoncées dans la capitale péruvienne. Mais, pour le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, ce n’est pas suffisant pour atteindre les 100 000 milliards de dollars par an en 2020. Pour M. Nafo, la capitalisation récente du Fonds vert est une réussite. « On s’est battu pour que, dans le conseil d’administration, les pays développés et en développement parlent d’une seule voix », affirme-t-il.
Tous contre le texte
Samedi matin, le 13 décembre, les différentes délégations des 195 pays du monde se retrouvent dans la salle plénière pour débattre du texte qui doit faciliter l’accord contraignant à Paris l’an prochain. Des pays manifestent leur désapprobation. Parmi eux, la Chine, la Malaisie, des pays d’Amérique latine, la plupart des Petits États insulaires ainsi que des États appartenant aux Pays les moins avancés (PMA) et le groupe Afrique. Il y a, selon eux, un dysfonctionnement juridique. « Les éléments juridiques qui doivent constituer la base du nouveau régime climatique international n’ont pas toutes les contraintes juridiques nécessaires.De plus, la responsabilité des pays industrialisés n’est pas suffisamment étoffée et les engagements d’atténuation de ces pays pour la période post 2020 ne répondent pas aux préoccupations exprimées par le 5e rapport du Giec publié récemment », explique, entre deux négociations, samedi après-midi, Youssouf Hamadi, négociateur des Comores, un petit archipel de l’océan indien appartenant au groupe Afrique, aux Petits États insulaires en développement, aux pays les moins avancées, au Groupe77+ la Chine et à la Ligue arabe.
« Lima appelle pour l’action climatique »
Un autre texte intitulé « Lima appelle pour l’action climatique » est finalement adopté dans la nuit de samedi à dimanche. Manuel Pulgar-Vidal, le ministre de l’Environnement du Pérou et président de la COP sur le climat annonce un accord sur les futurs engagements de réduction de gaz à effet de serre. Pour la première fois, tous les états seront sur le même piédestal : tous doivent réduire leur gaz à effet de serre et présenter leur contribution . Selon la société civile, la limitation du réchauffement climatique à 2 ° d’ici 2020 recommandée par le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution climatique (Giec) risque de ne pas être respectée. Aucune mention à ce propos n’est indiquée dans le texte. Un texte qui appelle pourtant « à l’élaboration d’un accord ambitieux à Paris ».
Dans ce nouveau texte, les délégations des 195 nations du monde ont finalement intégré à l’unanimité la notion d’adaptation et d’atténuation (cf. article 4). Les délégations ont aussi rappelé les décisions sur le mécanisme de pertes et dommages (liés aux inondations, élévation du niveau de la mer, etc.). À noter que les notions de mécanisme de pertes et dommages avaient été supprimées dans le premier texte. Dans le second texte, il est fait référence aux deux articles 19 et 20 de la conférence de l’ONU sur le climat à Varsovie l’an dernier. Les parties saluent les efforts fournis à Lima pour l’association des pertes et dommages au changement climatique. Mais tout reste à faire. Les mécanismes financiers liés aux pertes et dommages, à la reforestation, ainsi qu’au Fonds vert ne sont pas mentionnés dans le texte. Les négociations se poursuivent donc… Rendez-vous en février prochain à Genève, puis en Allemagne entre avril et mai pour aboutir à la conclusion à Paris entre novembre et décembre 2015.