Les enjeux financiers liés au changement climatique compliquent la tâche des experts africains. Illustration à Marrakech en octobre dernier.
Par notre envoyée spéciale à Marrakech, Houmi Ahamed-Mikidache
Octobre 2014 a été un mois particulier pour Marrakech qui, plus de 10 ans après avoir accueilli la 7e Conférence des parties (COP) à la Convention-cadre des Nations unies au changement climatique (CCNUCC), a reçu la 4e Conférence sur le changement climatique et le développement en Afrique (CCDA-4). La “Ville rouge” a en effet été pendant trois jours le lieu privilégié d’échanges de cinq cents experts, scientifiques et décideurs de tout le continent. Habituellement organisée à Addis Abeba en Éthiopie par la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA), cette conférence a choisi pour thème cette année “l’autosuffisance alimentaire, l’accès aux connaissances climatiques au service de l’action”.
Le Protocole de Kyoto pas respecté
L’existence du changement climatique d’origine humaine est reconnue par la CCNUCC. Cet organe de l’ONU impose aux pays industrialisés la responsabilité de la lutte contre ce phénomène. Il se base sur le Protocole de Kyoto. Signé en 1997 au Japon lors de la 3e COP, il demande aux pays les plus industrialisés (37 au départ) de s’engager à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (vapeur d’eau, dioxyde de carbone, ozone…). Les États-Unis et la Chine n’ont pas ratifié ce protocole. Entré en vigueur en 2005, cet accord contraignant est arrivé à échéance à la fin de l’année 2012, mais le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas été respecté.
Trente-six pays développés et économies en transition devaient s’engager à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 5,2 % entre 2008 et 2012. Ils se sont finalement réengagés pour une deuxième période de 2013 à 2020. Au mois de décembre 2015, un accord contraignant et équitable sur la limitation du réchauffement climatique à 2 °C d’ici 2020 devrait être signé par l’ensemble des États développés et en développement. Pas facile avec les désaccords des pays historiquement réfractaires. La question du financement est tout aussi complexe. De quoi conduire les experts africains à être sur le qui-vive.
Les Africains dans le tumulte général
“Ce n’est pas notre faute [la responsabilité historique du changement climatique] et nous devons sans cesse le rappeler”, souligne Tosi Mpanu Mpanu, du ministère de l’Environnement de la République démocratique du Congo (RDC), représentant du Groupe des négociateurs africains (GNA) en marge de la CCDA-4. Et cet ancien président de la GNA entre 2009 et 2011 d’ajouter : “Au niveau du FVC, nous en avons plus qu’assez du financement climat que nous ne comprenons pas.” Mpanu Mpanu demande plus de transparence dans les financements et il sait de quoi il parle en tant qu’ancien cadre de la Banque mondiale titulaire d’un MBA en finance et investissement de l’université de George Washington aux États-Unis.
Qu’en est-il du Fonds vert pour le climat (FVC)
Le Fonds vert pour le climat (FVC), présenté durant les négociations à Copenhague en 2009, est destiné aux pays en développement. les pays développés se sont engagés à le financer. Un premier versement “précoce” de 30 000 milliards de dollars devait être effectué entre 2010 et 2012, mais il n’en a rien été. “Il n’y a pas d’argent. Le seul financement qu’ils ont reçu a servi aux affaires administratives et à la mise en place du siège en Corée du Sud”, explique Charles Mulenga, directeur exécutif du Centre zambien du dialogue sur l’environnement et le changement climatique (CZDECC). M. Mulenga, habitué des rendez-vous internationaux, est bien informé. “En ce moment, les membres du bureau du FVC sont à la Barbade. Ils discutent d’une stratégie pour la Conférence des parties à Paris où il y aura un lobby pour financer le FVC”, soutient-il.
Un noeud au niveau financier
D’après le rapport conjoint OCDE/CEA “Examen mutuel de l’efficacité de développement de l’Afrique 2014”, 80 % du financement “précoce” du FVC était comptabilisé au titre de l’aide publique au développement (APD) avec la moitié en forme de prêts, de garanties et de modalités d’assurance, dont des crédits à l’exportation. Selon M. Mulenga, la Zambie n’a reçu que 5 à 20 % de la collecte de fonds et ce serait le cas de tous les pays d’Afrique. Il y a donc un souci de “transparence, de corruption et de responsabilité”. Officieusement, 54 millions de dollars par an auraient été mobilisés, mais l’argent aurait disparu. L’expert zambien en “appelle à la responsabilité des gouvernements et demande à la société civile d’enquêter”.
Des manoeuvres américaines à gérer
Selon M. Mulenga, la Banque mondiale, très fortement influencée par les États-Unis, vient de déplacer ses bureaux sud-coréens “au sixième étage de l’immeuble du siège social du FVC”. Pour l’expert zambien, c’est une manoeuvre “pour tirer avantage des opportunités” de ce financement. Malgré la volonté apparente de réclamer le FVC, les Africains sont divisés en “petits groupes par les pays développés qui n’acceptent pas la feuille de route du climat”, précise-t-il.
“Les Américains négligent notre programme, nos besoins, nos droits pour le développement. Ils essayent de nous diviser en petits groupes. Dès maintenant, avant Paris, nous devons discuter franchement sur tous les aspects pour obtenir une décision unie des besoins africains”, affirme Essam Hassan Mohamed Ahmed, négociateur égyptien et consultant pour les questions sur le changement climatique.
La nécessité pour les Africains de s’adapter
“L’adaptation au changement climatique en Égypte est très importante pour nous. Nous demandons à la population de réduire sa consommation d’eau, d’énergie pour protéger nos ressources naturelles”, fait remarquer le consultant égyptien, titulaire d’un doctorat en environnement et sciences. Il a travaillé pour l’Agence de l’environnement en Égypte et a participé au rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution climatique (GIEC). “Les programmes individuels établis par l’Égypte ne sont pas suffisants. Nous avons besoin d’une vision unie, un vaste parapluie”, dit M. Essam, qui prône la coopération Sud-Sud recommandée par les accords de Marrakech.
Les accords de Marrakech largement consacrés aux pays du Sud et les accords de Bonn* ont mis à disposition des outils de financement encadrés par le FEM (Fonds pour l’environnement mondial). Trois fonds ont alors été créés : le Fonds spécial pour le changement climatique, le Fonds pour les pays les moins avancés (PMA) et le Fonds d’adaptation sous le Protocole de Kyoto. Plusieurs autres mécanismes de financement de l’ONU, tels que le Mécanisme de développement propre (MDP) et le REDD+ plus tard, sont aussi mis à disposition pour les pays du Sud. Mais les procédures pour obtenir ces financements “doivent être allégées et adaptées à chaque pays”, recommande M. Mpanu Mpanu, à l’écoute active, diplômé d’un master en relations internationales de l’université Paris-1-Panthéon-Sorbonne. Pour Mme Denton, qui est aussi la coordinatrice du Centre africain pour la politique en matière de climat, le financement peut venir du secteur privé comme du secteur public. “Sur l’aspect énergétique, par exemple, on pourrait aller au-delà des projets nationaux, avec des projets régionaux, déclare-t-elle, en marge d’un panel sur le financement climat”. Fait important : la Banque africaine de développement (BAD) a annoncé le lancement du Fonds Spécial pour la lutte contre le changement climatique, le fonds Clim-Dév. Longtemps attendu, ce fonds créé par la CEA, l’Union africaine et la BAD, d’un montant de 33 millions d’euros, servira à financer des projets d’adaptation et d’atténuation.
Le GIEC peu optimiste pour la suite
Pour le président du GIEC, Rajendra Pachauri, les conflits et les problèmes vont se multiplier avec le changement climatique. “Les mesures d’adaptation sont donc extrêmement importantes”, fait-il remarquer, dans un message vidéo adressé à la CCDA-4. Jusqu’à présent, l’Afrique émet très peu de gaz à effet de serre. D’après le GIEC, le continent subit les aléas du climat : cyclones, inondation, sécheresse, vague de chaleur, insécurité alimentaire. “70 % de la population africaine vit de l’agriculture. Mais 65 % des terres arables du continent sont dégradées par la déforestation entraînant sécheresse et diminution des rivières.” Ce à quoi Fatima Denton, directrice de la division des initiatives spéciales à la CEA, rétorque dans une tribune publiée par le bulletin quotidien de la CCDA : “L’eau est le principal défi à relever pour l’agriculture.” Pour l’Afrique, elle a totalement raison. Pourvu que ses propos retiennent l’attention.