Reportage. Être jeune en Angola, c’est appartenir à une catégorie qui représente plus de 50 % de la population, mais c’est aussi apprendre à se débrouiller.
Par notre envoyée spéciale à Luanda, Houmi Ahamed-Mikidache
Fernando Castelo, 23 ans, est né à Sambiazanga, une des municipalités de Luanda, celle dont est originaire le président José Eduardo Dos Santos. Mais, le jeune homme ne le sait pas. Il vit, depuis 2014, rue Dagerre, dans une petite maison située dans la partie non moderne de Talatona, dans la municipalité de Belas. La rue Dagerre est à deux heures du centre-ville de Luanda. Tous les jours, Fernando prend le mini-bus bleu appelé par les habitants « Hice » ou « Azul y branco ». Ces mini-bus sont les nombreux taxis de Luanda, et bloquent souvent la circulation. La capitale angolaise est connue pour « ses multiples bouchons ». « Je dois prendre quatre taxis pour me rendre au travail, au centre-ville », dit-il. Il paie chaque jour 700 kwanza (5,63 euros) pour le transport. Cela lui revient très cher à la fin du mois : 21 000 kwanza (168 euros). Plus cher que son loyer. « Je paie 15 000 kwanza par mois (environ 120 euros), mais c’est la vie », affirme-t-il.
Un quotidien peu évident
Depuis un an et demi, il partage sa vie avec Victoria Tchiti, 21 ans. Ils ont un enfant de cinq mois : Gomès. Luanda est l’une des villes les plus chères au monde pour les étrangers. Fernando le constate aussi. « Ici, le quotidien est difficile », souligne-t-il. Mais, il n’aime pas solliciter de l’aide. « Moi, je n’aime pas embarrasser les gens. Mais, je fais le nécessaire pour le bien-être de mon fils », précise-t-il. Victoria, originaire de Lubango, et Fernando se sont rencontrés en 2013 à l’université Augustino Neto. Lui était étudiant en droit. Victoria, elle, poursuivait des études d’ingénieur. L’université Augustino Neto est considérée par les Angolais comme l’une des plus réputées et la mieux cotée du pays.
Un seul salaire : insuffisant !
« Mais, il est très compliqué en Angola de vivre avec un seul salaire », explique Fernando. Depuis la naissance de leur fils, Victoria n’étudie plus. Elle travaille à temps complet dans le magasin Kero (signifiant je veux en portugais) de Belas. Elle est aussi aidée par sa famille, son père et ses oncles. L’une des quatre sœurs de Fernando vit dans leur studio. Le couple paie 4 000 kwanza (32 euros) par mois, pour l’électricité. Ils n’ont pas de salle de bains ni de toilettes. La Casa de Banho (salle de bain) et le Pia (les toilettes) se trouvent à l’extérieur. « Tout le monde les utilise, même les personnes venant de Viana en font usage », assure le jeune homme. Ce quotidien difficile ne les empêche pas d’être à la pointe des nouvelles technologies. Féru des réseaux sociaux, Fernando est sur WhatsApp, Facebook, Tango, Viber et Imo. Il a la télévision par satellite et paie 1 650 kwanza (13 euros) par mois. Sa connexion internet coûte 5 472 kwanza (43 euros) tous les deux mois. Ses communications téléphoniques lui reviennent à 2 700 kwanza par mois (21 euros).
Difficile de s’intégrer
Longiligne, aux traits fins et juvéniles, Fernando s’aventure dans le mannequinat entre 2008 et 2011. Il vit alors chez sa mère et son beau-père dans la municipalité de Viana. On le paie 109 593 kwanza (881 euros), dont une partie revient à son agent (352 euros). Fernando a vécu 13 ans en République démocratique du Congo (RDC) et a étudié là-bas . Sa mère est originaire de la RDC. D’après le jeune homme, elle a été dépossédée de ses biens à la mort de son père, en 1994. « Mon père était policier. Les gens disent que c’était une personne bien. Après sa mort, la famille de mon père a tout pris, la maison… Ma mère m’a tout raconté. J’ai décidé d’étudier le droit pour défendre ma famille », souligne-t-il. Sa mère et lui ont quitté le pays en 1994. Fernando n’avait alors que deux ans. Ils sont revenus en 2007. En 2008, le jeune homme ne parle alors que le lingala (plutôt parlé en RDC), le français et l’anglais. « Je ne parlais pas un mot de portugais, mais pour être mannequin, l’anglais suffit », précise-t-il. Mais il a dû interrompre sa carrière. « Mon agent voulait avoir des relations sexuelles avec moi, il est bisexuel », explique le jeune homme. En 2011, il s’inscrit à l’université. Mais c’est en 2012 qu’il commence à maîtriser le portugais. La discrimination ne lui est pas inconnue. « Ici, les gens font des séparations. Avant, je me sentais mal, maintenant, ça ne me fait plus rien », affirme-t-il. Fernando parle aujourd’hui parfaitement le portugais et le kimbundu.
Pourtant, l’Angola est un brassage de peuples
L’Angola est pourtant un brassage de peuples, de cultures, d’ethnies et de langues. Le pays partage ses frontières terrestres avec le Congo-Brazzaville (Nord-Ouest), la République démocratique du Congo (Nord-Est), la Zambie (Sud-Est) et la Namibie du Sud. L’enclave de Cabinda (7 270 km2), au nord-ouest, est séparée du pays par une bande de territoire appartenant à la RDC. L’Angola est aussi l’un des cinq pays lusophones d’Afrique avec la Guinée-Bissau, le Mozambique, les îles du Cap-Vert et les îles de São Tomé et Principe. Le portugais est la langue dominante du pays. C’est la principale langue d’expression littéraire. Mais, à l’université, les étudiants peuvent parler le français et l’anglais. Depuis 10 ans, le gouvernement se donne pour objectifs de prendre en compte six langues angolaises dans l’enseignement à l’école primaire : le kikongo, le kimbundu, le tchokwe, le nganguela et le kuanhama. En 2005, le gouvernement a mis en place un programme expérimental de développement de l’enseignement de ces langues, considérées comme un facteur d’identité et de développement socioculturel.
Le rapport compliqué aux Chinois
Fernando est fier de ses origines et les revendique. Il s’occupe de sa famille élargie, dès qu’il en a la possibilité. Au milieu de l’année 2013, il décide d’arrêter ses études de droit. « Je n’avais plus d’argent. Je devais payer 30 000 kwanza par mois (241 euros). Ici, il est difficile d’obtenir une bourse d’études », constate-t-il. Et le droit ne l’intéresse plus. Quelques mois avant d’arrêter ses études, il rencontre Victoria. Il recherche, par la suite, activement un travail. En 2014, il est recruté par l’agence chinoise Guangde International. C’est une entreprise d’échanges commerciaux (transit de marchandises, agence de voyages…) entre la Chine et l’Angola, installée dans le pays depuis 1999. « Il n’est pas facile de travailler ici. L’unique moyen est de travailler avec les Chinois », indique le jeune homme.
D’après le site internet de l’entreprise, Guangde International emploie 700 Angolais et 400 Chinois. Pourtant Fernando affirme le contraire. « Là où je travaille, il y a plus de Chinois que d’Angolais », souligne-t-il. Il est payé 30 000 kwanza (241 euros) par mois et travaille tous les jours, du lundi au vendredi. Mais son salaire sera réévalué ce mois-ci. « J’ai discuté avec mon employeur, je devrais gagner à la fin du mois 60 000 kwanza (482 euros) », explique-t-il. À Guangde International, Fernando établit les réservations et va chercher les marchandises tous les mardi et mercredi à l’aéroport international, Quatro de Fevereiro de Luanda. Aujourd’hui, mercredi, le jeune homme est accompagné de deux collègues angolais, nouvellement recrutés, Viagas, 26 ans et Lazaro, 25 ans, et trois collègues chinois. Ils attendent de nombreux colis venant de Chine. Selon Fernando, l’entreprise a des accords avec l’Angola leur permettant l’accès direct aux colis à l’aéroport.
L’aéroport, un reflet d’une certaine réalité angolaise
Quatro de Fevereiro est un petit aéroport où se concentrent de nombreux passagers. Quelques heures plus tôt, vers 7 h 30, plusieurs avions viennent d’atterrir, venant des États-Unis, du Portugal, d’Allemagne, de Chine, de partout. L’Angola est un pays ouvert vers l’extérieur. Une navette attend les passagers à la descente d’avion. Le passage aux douanes se situe à quelques mètres. Il y a une longue file d’attente… De longues rangées de passagers portugais, angolais, allemands et de nombreux chinois attendent leur tour. La police angolaise est aux aguets. À l’arrivée comme au départ de l’aéroport, les autorités angolaises ont mis en place, récemment, un système électronique de contrôle des passeports biométrique et un système de reconnaissance d’empreinte digitale. Mais ce système ne fonctionne pas pour tout le monde. Les douaniers sont obligés de contrôler manuellement les passeports et prennent en photo les passagers à l’arrivée et au départ.
Le pétrole par-ci, le pétrole par-là
Passée la douane, les passagers vont chercher leurs bagages. Au-dessus du tapis roulant, il y a une inscription : Total committed to better energy. Cette signature fait référence à la campagne du groupe Total dans 21 pays, dont l’Angola. Une volonté du groupe pétrolier français de produire « toujours mieux » et « non toujours plus ». Le pétrole représente 95 % des exportations et 79 % des recettes budgétaires. Mais, l’Angola fait face depuis le début de l’année 2015 à une crise pétrolière, liée à la chute du pétrole sur le marché mondial.
Le bonheur d’être chez soi
La lumière s’éteint et le tapis roulant s’arrête à deux reprises. Berrenice, une passagère angolaise venant des États-Unis est agacée. Ses deux enfants veulent sortir de l’aéroport. Ils ne tiennent plus en place. « Je suis en vacances à Luanda, je vis depuis quatre ans aux USA, mais malgré les problèmes d’énergie, je suis heureuse de rentrer en Angola. On est mieux chez soi », finit-elle par dire. Au bout de deux heures d’attente, Fernando et ses collègues obtiennent les colis. Pas très nombreux. 14 colis. Habituellement, ils en ont une vingtaine au nom de l’entreprise. Ce travail ne passionne pas Fernando. Mais, il ne perd pas espoir. « Un jour, je reprendrai mes études dans un tout autre domaine, et je trouverai un travail à la hauteur de mes compétences. Je crois en Dieu », lance-t-il.