Recyclage des biodéchets: les femmes ghanéennes aux défis

Début novembre, à Accra, capitale du Ghana, Otoo Emmanuel Addo, entrepreneur ghanéen de 40 ans, présente son travail aux femmes du marché de Kaneshie. Après une conférence de deux jours sur la transition juste, il explique à des femmes commerçantes comment recyler les déchets organiques.
Le marché de Kaneshie est un centre d’activités commerciales construit dans les années 1970. C’est un marché nocturne. Les vendeurs se retrouvent le matin entre 4 heures du matin et 18 heures. Otoo Ado dirigeant de la société Eng-solutions ltd, a participé pendant deux jours à la conférence intitulée « osez partager vos connaissances sur les transitions justes » à Accra.

» Cette conférence a été très utile! », s’exclame-t-il.

Après l’atelier de réflexion, Otoo se rend donc au marché de Kaneshie . Le trafic est très dense à Accra. Le bruit de la circulation est également intense. . Dans la voiture, l’entrepreneur raconte son histoire et explique son parcours .
Toute sa famille le soutient. Il est le dernier de 7 enfants. Depuis son enfance Otoo travaille. Insolite. A l’âge de 5 ans, il répare d’abord des lampes de poche avec l’appui de son grand-père. Ses parents sont alors enseignants et ne s’opposent pas à ses activités.
Aujourd’hui, il est propriétaire d’une entreprise de plus de 80 employés rémunérés par un système de paiement indépendant. Otoo travaille entre le formel et l’informel. Il gère une entreprise spécialisée dans l’énergie solaire, mais il se diversifie énormément, précise-t-il. Il a étudié les sciences et a travaillé en Allemagne.

Arrivé au marché de Kaneshie après 30 minutes de route engorgée, Otoo explique son approche pour aborder ses potentiels clients. Normalement, il rencontre le représentant de l’association des vendeurs pour présenter ses activités. Mais cette fois-ci, c’est différent. Il introduit ses activités directement sans intermédiaire.
Il se présente dans un premier temps à mama Dorothy, une vendeuse de légumes locaux. Au marché de Kaneshie, en effet, de nombreuses femmes vendent des bananes plantains, des ignames, des tomates, des noix de coco…Otoo parle le Twi. Originaire de Kumasi, la ville commerciale du Ghana, il parle ce dialecte akan du plus grand groupe ethnique de ce pays de plus de 32 millions d’habitants. Mama Dorothy est une femme de 45 ans, mère de 5 enfants. Elle vend des bananes plantains et d’autres fruits et légumes depuis environ 20 ans. A travers des images issues de son téléphone portable, Otoo explique à cette femme comment il collecte les déchets organiques pour cultiver d’autres légumes. Il raconte également son parcours scolaire au Ghana et sa vie d’entrepreneur en Allemagne.

Selon un rapport de l’OCDE intitulé « Agriculture, alimentation et emploi en Afrique de l’Ouest », publié en 2018, les femmes en Afrique de l’Ouest jouent un rôle central dans les économies alimentaires du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest. Elles représentent 51 % de l’emploi total.

Dans les zones rurales, 75 % des femmes employées sont dans l’économie alimentaire et travaillent dans l’agriculture. Dans les zones urbaines, les activités alimentaires hors ferme emploient une femme sur trois: quatre femmes sur cinq travaillent dans l’économie alimentaire.

« Les bananes plantains ne doivent pas être en contact avec l’eau, sinon elles deviennent noires comme celles-ci », décrit mama Doroty, en montrant des bananes très noires. Pour les préserver, la vendeuse les met dans un panier. Elle a également souligné que les commerçants qui achètent des bananes plantains en grande quantité utilisent les déchets issus de ces bananes pour les donner aux animaux. Mais les déchets issus des bananes plantains peuvent être aussi valorisés. D’après l’ouvrage « le bananier plantain, enjeux socio-économiques et techniques », publié en mai 2019, la banane plantain contribue à la sécurité alimentaire. Les poudres issues de sa transformation peuvent aussi être utilisées pour la production de biogaz. Le Ghana, rapportent les auteurs de l’ouvrage, Moise Kwa et Ludovic Temple, fait partie des 8 principaux pays producteurs de bananes plantains.
Selon les auteurs du rapport, la culture de bananes plantains ( il existe 150 variétés ) est sensible au manque de fertilisation, à l’absence de contrôle des bioagresseurs, aux champignons, aux bactéries et aussi au manque de formation des producteurs.

Otoo est polychrone. Au cours de la discussion avec la vendeuse, il évoque son travail de sensibilisation à la formation en informatique lorsqu’il était à l’université au Ghana. « J’ai ouvert une école informelle pour aider les gens à comprendre Excel et d’autres logiciels,» se félicite-t-il. Au cours de cet échange, mama Dorothy se confie. Son fils aîné étudie à l’université. « Je vous donne mon numéro de téléphone et vous le transmettrez à votre fils afin qu’il m’appelle, je lui donnerai ainsi quelques petits conseils sur la vie », assure Otoo à la vendeuse.

Otoo affirme pouvoir aider les gens dans n’importe quel domaine. « C’est dans ma nature, » relève-t-il. Mama dorothy travaille pour payer les études de son fils à l’université et fait vivre sa famille. « Je l’aiderai à créer une petite entreprise comme je le faisais quand j’étais à l’université », déclare l’entrepreneur.
A quelques pas du stand de Mama Dorothey, Otoo fait la connaissance d’ un autre groupe de femmes . De nombreux sachets en plastique jonchent les ruelles du marché, et aussi plusieurs sacs en plastique remplis d’eau sont exposés à la vente. Le plastique demeure un problème pour la santé.

Il fait très chaud dans la journée à Accra au mois de novembre. Les gens boivent beaucoup d’eau par le biais de ces sacs. Otoo m’assure qu’il existe des entreprises de recyclage qui récupèrent ces sacs en plastique. Au marché, je remarque aussi beaucoup de légumes en vente, et des déchets organiques longent les ruelles.

Selon un rapport de l’OCDE intitulé « Dynamique du développement en Afrique 2023: Investir dans le développement durable », la production mondiale d’igname (95%) et de niébé (85%) est largement attribuable à l’Afrique de l’Ouest, et sept des 15 principaux produits agricoles de la région représentent 50 % de la production du continent.

D’après Otoo, les vendeuses du marché de Kaneshie market vivent dans les banlieues environnantes d’Accra. Nous rencontrons donc un groupe de femmes qui vendent des ignames. Elles ont une association se nommant « Yam Celeste Association ». Nous faisons donc la connaissance de Felicia, Esther, Cecilia… Otoo présente à nouveau ses activités. Cette fois-ci, il défile des images de son portable, présentant toutes ses récoltes issues des déchets organiques, dont celles représentant du manioc, une des principales ressources alimentaires du pays.

Les femmes qui comme mama dorothy soutiennent leur famille avec leur travail quotidien sont impressionnées par ce qu’elles voient. Felicia Appiah demande alors à Otoo son numéro de téléphone. Elle l’invite chez elle pour qu’il l’accompagne.

Pour rappel, l’une des cinq grandes priorités du Plan d’action climatique d’Accra de 2020 à 2025 est de séparer les déchets organiques des sites d’enfouissement.

Il ne devrait pas y avoir de déversement ouvert de déchets organiques en 2050 dans cette ville de 4,5 millions d’habitants, selon son plan d’action climatique.

« J’ai cette connaissance, mais je ne sais pas si dans 50 ans je serai vivant, je préfère partager », explique-t-il. Et d’ajouter: « si je meurs maintenant, je laisserai toutes mes connaissances, mais si je les partage, ces femmes pourront les transmettre à leurs enfants et à leurs petits enfants », confie l’entrepreneur.

Otoo aime résoudre les problèmes en créant du travail, dit-il. Il s’intéresse depuis quelques mois au biogaz et il cherche aussi des débouchés sur le marché du carbone. « Je m’intéresse au biogaz et au marché du carbone et je veux devenir partenaire, mais il faut que ce soit gagnant-gagnant », déclare-t-il. Il est maintenant en contact avec Enoch Kofi Boadu, PDG de DAS Biogas and Construction, un autre entrepreneur qui était présent sur la plateforme de partage de connaissances à Accra.

« Je regarde la valeur de cette transition, de l’énergie renouvelable, de la gestion des déchets, mais je n’ai pas l’habitude de forcer les gens, je me présente simplement », conclut-il.
Reportage réalisé par Houmi Ahamed à Accra au Ghana.

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